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Lorsque Luis Bunuel, membre du groupe surréaliste sort « l’âge d’or » en 1930, film dans lequel on voit pêle-mêle Jésus participer à une orgie, un évêque balancé par une fenêtre, un couple d’amants obsessionnels faire l’amour en public dans une soirée mondaine, ou encore un jardinier abattre son fils d’un coup de fusil pour une broutille, les gardiens de la morale, qui ont obtenu l’interdiction de ce film jugé anti-patriotique et anti-humaniste jusqu’en 1981, étaient surtout des membres de l’extrême droite française.  Aujourd’hui, les partisans de la censure sont aussi des gens qui se définissent comme libéraux, progressistes, ou féministes. Agissant au nom de la lutte contre la pédophilie, le racisme, l’homophobie, où l’apologie de la violence, ils en viennent à utiliser la même arme que les défenseurs de l’ordre moral.

Quelle que soit l’époque, la question revient : A partir de quelle limite, faut-il interdire les œuvres d’art dont les messages heurtent nos valeurs et transgressent nos interdits ?

 

 

Je ne me questionne pas sur le bien-fondé de nos valeurs actuelles. Chaque société a ses normes. Ce qui était admis hier, est désormais intolérable. Qui aujourd’hui trouverait acceptable le port de l’étoile jaune, pourtant imposé par l’état français, il y a, à peine 80 ans ? 

En même temps, notre société n’a pas mis à l’index des œuvres d’auteurs homophobes et antisémites. Comme Voltaire ou Céline. Enfin, pas encore.

Cela demande une sacrée humilité et un minimum d’éducation, pour apprécier une œuvre créée dans un contexte passé, sans l’évaluer à travers nos lunettes d’aujourd’hui.

J’entends souvent dire que ce qui justifie l’interdiction d’une œuvre, c’est  lorsqu’elle devient source de trouble à l’ordre public, parce qu’elle ferait, par exemple, l’apologie du meurtre, de l’inceste, ou de la violence faite aux femmes.

Mais qu’entend-t-on par apologie ?

Si dans un film, un personnage fait l’éloge du meurtre, cela ne veut pas dire que l’œuvre épouse son point de vue. Nous l’admettons facilement quand le personnage en question est du côté obscur de la force, parce que nous nous identifions au héros qui combat cet adversaire monstrueux. Mais lorsque c’est le héros lui-même qui revendique cette part d’ombre, alors cela devient plus complexe.

Je me souviens de cette scène dans Lawrence d’Arabie, où le héros confesse à son officier qu’il a tué quelqu’un. Le supérieur, lui demande alors ou est le problème, vu qu’ils  sont en temps de guerre. Et Lawrence lui répond terrifié.

“Le problème, c’est que j’y ai pris du plaisir”

Quand il devient trop difficile de nous identifier à un héros, nous nous tournons souvent vers l’auteur de l’œuvre, pour être rassurés sur ce qu’il a voulu raconter.

Combien de fois, après la projection de mon film, qui avait une fin ouverte et ironique, les spectateurs m’ont posé cette question :

“Qu’est ce que vous avez voulu raconter avec cette fin ? c’est quoi le message du film ? Pouvez-vous me confirmer que c’est bien cela que vous avez voulu dire  ? »

Comme si mon point de vue, ou ce que j’avais voulu raconter sur le film, avait plus de valeur que ce qu’ils en avaient compris, ou retiré.

Certains auteurs sont des connards. Je veux dire humainement ou idéologiquement. Certains ont été violents et ont abusé de leur pouvoir, d’autres ont été de fervents défenseurs de dictatures sanguinaires, comme l’U.R.S.S. de Staline. Leni Refenstahl, avec tout son talent, a été la cinéaste officielle du régime nazi, et a réalisé des films de propagande comme les « Dieux du stade » ou le « Triomphe de la volonté », qui n’en demeurent pas moins des œuvres artistiques de qualité.

La force d’une œuvre d’art, c’est qu’elle échappe aussi aux mains de son auteur. Comme Pinocchio désobéissant à Gepetto, elle ne se réduit ni à un outil de propagande, ni à l’instrument d’illustration d’une thèse.

Lorsque Gillo Pontecorvo a réalisé en 1966  « La bataille d’Alger », qui dénonce les tortures de l’armée française pendant la guerre d’Algérie, il ne se doutait pas que son film servirait d’outil pédagogique aux services de renseignement israélien pour transmettre les techniques d’interrogatoire à ses soldats.

Toute œuvre exprime une vérité sur l’humain. A minima sur son auteur. Et parfois sur l’humain en général. Et plus encore avec le cinéma, qui, de part son rapport organique avec le réel, est toujours porteur d’une dimension documentaire.

Voilà pourquoi je ne considère pas que connaitre le point de vue de l’auteur sur son travail, ou ses intentions, soit un critère suffisant pour nous positionner face à une œuvre.

Pour être tout à fait honnête, je ne sais pas s’il existe des cinéastes parfaitement équilibrés, et sains d’esprit. Il faut souvent une sacrée dose de folie, de souffrance, d‘obsession, d’inconscience ou de narcissisme pour décider de dépenser autant d’énergie dans la fabrication d’une œuvre, avec tous les risques que ça implique.

Je perçois beaucoup de cruauté, de violence et de perversion, dans le cinéma d’Haneke, de Tarantino, de Scorcese, ou de Lars Von Trier. C’est peut-être même leur fascination pour ces aspects sombre de l’humain qui alimente leur besoin d’expression artistique. Ils peuvent alors choisir  de  dénoncer cette violence, de s’en moquer, de la mettre en scène, ou de l’esthétiser. Ce qui fera de leurs obsessions une œuvre artistique, c’est leur capacité à dépasser la simple expression  brute de leurs fantasmes,  pour réussir à les sublimer.

Et parfois, il n’y parviennent pas.

Un artiste crée des prototypes en permanence. Chaque œuvre est unique. Et le chemin de la nouveauté implique aussi parfois de se planter, de faire de la merde, de passer a coté de son message. C’est la règle du jeu, et je dirai même, la condition de la réussite d’un artiste que de savoir sortir de ses sentiers battus, et de sillonner l’inconnu, au risque parfois de s’y perdre.

Je ne sais pas si la qualité artistique d’une œuvre d’art suffit pour justifier son existence.  Je ne suis pas juge. Mais plus que jamais, devant la prolifération de produits audiovisuels de toute sorte, il me parait important que l’on réfléchisse à ce que nous attendons d’une œuvre d’art.

Personnellement, j’aime les films qui laissent suffisamment d’espace libre au spectateur, pour qu’il s’interroge, doute, débatte, et se bagarre avec d’autres spectateurs, pour essayer d’en extraire le sens. J’aime les films qui m’amènent à penser le monde différemment, à réfléchir sous un angle nouveau, ou proposer de nouvelles perspectives dans le fond ou dans la forme, que ce soit à travers des comédies, des films populaires, ou plus transgressifs et atypiques. 

Et si certains films se révèlent dangereux pour le maintien de l’ordre public, c’est, je crois,  dans notre manière de nous confronter a leur dangerosité, et dans notre capacité à l’accueillir, et à y voir les reflets de nos propres ombres, que se révèle l’état d’évolution de notre société.

Le véritable danger ne se situe pas je crois, dans l’existence de telle ou telle œuvre d’art elle-même, mais dans l’absence de débat de qualité, de discussion, de regard critique et de réflexion, autour de ce qu’elle suscite et questionne.

Et toi, alors, quel censeur es-tu ?

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