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Pas toujours facile d’être parent. En particulier quand tu découvres que ton fils écoute du rap, et reprend en boucle des propos machos et dégradants qui activent ta colère. Et là, t’es partagé entre :

“Mais bon sang, pourquoi il écoute des trucs aussi nazes et vulgaires !”

et des

“Ouais, bon… j’écoutais aussi des trucs bien pourris à  mon époque”

Alors qu’est ce que je fais : J’interdis ou pas ?

Je sais que l’art n’a pas pour vocation d’être propre ou conventionnel. Ni pour véhiculer des messages politiquement acceptables. Et je peux toujours me justifier en me disant que des mecs qui se vantent fièrement de leur gros calibres, et qui appellent les femmes « ma tepu », et qu’ils la choppent je ne sais où, ce n’est pas de l’art, mais juste du mauvais rap.

Sauf que ça existe, que c’est populaire, et que les enfants reprennent ça dans les cours d’écoles.

Les artistes nous proposent leur vision du monde, avec laquelle on n’est pas obligés d’être en accord. C’est même le meilleur moyen de nous empêcher de devenir des vieux cons. Parfois, ils nous permettent de conforter nos positions, d’autres fois de les remettre en question.

Beaucoup d’œuvres anciennes pourraient subir un autodafé si on les jugeait au filtre de nos valeurs actuelles : parce qu’elles sont sanglantes, racistes, misogynes, ou réactionnaires, selon nos critères d’aujourd’hui. D’autres au contraire sont devenues cultes, alors que jugées scandaleuses : Brassens a longtemps été censuré et qualifié de pornographe à son époque.

Ce qui me questionne le plus, c’est ce qui fait que mon fils, pourtant anti-macho,  aime écouter une musique dont les paroles sont aux antipodes de ses valeurs ?

Si je lui interdis d’écouter ces chansons, ne l’empêchera pas de continuer à les aimer. Il trouvera simplement que je suis sévère, et peut-être injuste, parce que les autres, à l’école, ils écoutent ça. A commencer par les animateurs.

Si je le laisse écouter cela, ben, ça m’inquiète pour lui. Et surtout ça ne me convient pas. Cette colère que j’exprime devant mon fils, j’ai d’abord cru qu’elle était contre ces rappeurs violents et leurs chansons dégradantes. Elle était peut-être aussi contre moi-même. Parce que j’ai laissé s’installer son goût pour une musique violente, et je ne l’ai pas vu arriver. Le syndrome du mauvais père tu connais. 

Bon, je crois que ça s’appelle le paradoxe de l’humain.

Certaines femmes se revendiquent féministes, tout en étant sexuellement attirés par des machos.  Certains hommes hétéros très attentionnés envers les femmes, et respectueux du consentement, jouissent secrètement sur des films pornos ou les femmes se font brutaliser.

Certains thérapeutes super bienveillants et tolérants avec leurs clients, se retrouvent à agir comme des connards avec leurs enfants, avec leurs parents, ou avec eux-mêmes.

C’est comme ça : tu es les deux à la fois, dans une même personne. Même si tu préfères recouvrir ta moitié qui te convient pas d’une couche de déni.

La plus grande source de violence pour moi, c’est le mensonge. Celui que tu te fais à toi-même quand t’arrives juste pas à admettre que tu n’es pas celui que, sur le principe, tu aimerais être. Et que tu nies à une part de toi le droit d’exister.

Et si on commençait déjà par arrêter de nous maltraiter.

Nous ne sommes pas nés de rien. Tu es le fruit de plein de conditionnements : parentaux, sociétaux, génétiques, et pleins d’autres. Tu as vécu dans une société qui t’a transmis certains modèles de masculinité et de féminité, qui glorifie la force et la violence. Même si tu n’es pas cela, ni intellectuellement en accord avec cela, tu es aussi marqué dans ton corps par cet héritage.

Alors, en attendant que nous changions en profondeur, si tel est notre souhait, commençons déjà par faire un état des lieux honnête de ce que nous sommes. Et  pointons nos paradoxes.

Alors, l’art, c’est peut-être l’endroit ou toutes ces complexités s’expriment. C’est ce qui fait qu’on peut aussi aimer des livres dont les personnages principaux sont des connards qu’on n’aimerait pour rien au monde avoir comme amis. Même s’il faut l’admettre, qu’il y a peut-être un truc chez eux qui nous touche, nous fait rire, qu’on admire, qu’on envie, qui nous met mal à l’aise, qui nous fascine, ou qui nous autorise. Ils nous donnent le droit de nous relier à notre face cachée.

Je déteste le cinéma de Tarantino, et j’avoue avoir du mal à comprendre l’engouement qu’il suscite. Scorcese me dérange profondément avec ses personnages qui tuent comme on allume une cigarette. L’esthétisation du flingue, et de l’hémoglobine, j’adhère pas du tout. Pourtant, je continue à regarder leurs films. Ils me font réfléchir sur pourquoi je déteste cela, sur le rôle de l’art, sur les raisons pour lesquelles les gens aiment cela, et ce qui fait que leurs films touchent les gens. Je te conseille à ce sujet cet autre article que j’ai écrit.

Parfois c’est aussi en entendant des trucs que t’as pas envie d’entendre, que t’évolues.

J’ai écouté récemment un podcast des « couilles sur la table » où Virginie Despentes proposait un point de vue singulier sur l’art. Elle y expliquait avec honnêteté pourquoi elle aime autant Bukowski, génial auteur, entre autres, de « Journal d’un vieux dégueulasse« , et de « Les jours s’en vont comme des chevaux sauvages dans les collines », alors que Bukowski, c’est généralement un auteur que les féministes détestent.

Pour Despentes, le problème du cinéma c’est pas tellement qu’il y ait des cinéastes violents, ou libidineux, comme par exemple Kechiche, qui filme ses fantasmes féminins de manière très grossière. Après tout, c’est sa vérité. Et il est utile de voir des films qui nous obligent à nous positionner.

Le problème, c’est celui de la domination, de l’absence d’alternatives. C’est qu’il manque des films faits par des femmes cinéastes libidineuses qui filment les hommes comme des objets sexuels. Des Tarentinas, et des Scorcesettes qui styliseraient elle aussi leur violence personnelle.

J’avoue que je suis curieux de voir arriver des rappeuses chanter comment elles ont vidé leurs calibres féminins, et choppé tous ces machos qui dansent derrière elles dans un clip. Voire même qu’elles n’y ont trouvé aucun intérêt.

Loin d’aller ver l’uniformisation et le politiquement conforme, qui fait qu’Hollywood supprime aujourd’hui numériquement les cigarettes pour les remplacer par des sucettes dans les premiers films de Spielberg,  ce qui peut nous faire évoluer, c’est l’apport de points de vues différents, des gens qui nous amènent leur manière de penser, quitte à ce qu’elle nous heurte, nous perturbe, nous permette de nous y opposer, ou au contraire, d’évoluer, et de changer de perspective.

Être artiste, c’est peut-être aussi oser rencontrer l’endroit ou ta vérité personnelle, ne coïncide pas exactement avec l’aire du temps.

Et être parent, c’est peut-être parfois être en contradiction avec l’artiste que tu es. Avec mon fils, j’ai pris le temps d’écouter la chanson, et d’en décortiquer les paroles une à une pour qu’il en saisisse le sens. Certaines choses lui avaient échappé. Et bon, j’ai du reconnaître que musicalement, c’était pas mal.

C’est peut-être tout simplement cela qui nous avait manqué.  Passer du temps ensemble, nous rejoindre, échanger, nous respecter, et aider mon fils à avoir confiance dans ses convictions, dans ses choix, et gérer ses propres paradoxes.  Peut-être que c’est utile pour lui aujourd’hui d’écouter cela, et que cette violence est un exutoire, que ça lui apporte quelque chose. Et qui sait si plus tard, ça ne lui donnera pas envie de proposer une alternative à cela.

Je serai curieux de voir ce que cet article t’a évoqué.

 

 

 

 

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6 réponses
  1. lili
    lili dit :

    Amusant, je suis en train de lire « Le cœur sur la table » de Victoire Tuaillon 🙂
    Le féminisme à mes yeux n’est pas du « machisme au féminin ». En fait, l’égalité des droits, ça devrait peut-être juste s’appeler humanisme ? Voire « êtrevivantisme » ? ^^

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      • lili
        lili dit :

        Un jour, un jour… comme dans aujourd’hui ? Car dans demain, y’a pas de jour. Et puis, comme dirait une personne célèbre, demain est toujours demain. Oh ! ça alors, il y a aussi un jour dans toujours ! Ce serait tellement cool si on n’avait plus besoin du féminisme dès aujourd’hui et pour toujours…

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  2. Valérie
    Valérie dit :

    Je ne crois pas qu’une alternative en miroir de cinéastes libidineuses ou de rapeuses qui videraient leur calibre apporterait quelque chose. Il n’y aurait rien de nouveau, après tout, en inversant les rôles.
    Par ailleurs, la femme qui tourne le clip en acceptant le rôle de « tepu » en frottant ses seins sur un capot de voiture est aussi d’une vulgarité sans nom. Sa soumission est aussi violente que les propos du rapeur.

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    • Namir
      Namir dit :

      Pour moi, cette alternative, probablement caricaturale dans ma propostion, apporterait une balance à un rapport de domination. RiadS Sattouf avait fait un long metrage, malheureusement decevant, ou c’etaient les femmes qui etaient au pouvoir dans un pays arabe.

      Certaines feministes radicales tiennent des propos extremes avec lesquels je suis en total désaccord, rejetant les hommes, et proposant l’homosexualité feminine comme seule alternative à notre monde. Mais mine de rien, elle viennent remettre en question des choses que l’on croyait evidentes. Et c’est à mon avis, parce qu’il y a des mouvements extrêmes qui s’opposent, qu’au centre peut émerger un nouvel equilibre. En art, beaucoup de films radicaux et pas terribles, ont aussi inspiré par la suite de bons films.

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  1. […] suis souvenu d’une phrase que j’avais écrite il y a quelques jours dans un article intitulé Artiste et père […]

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