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L’égyptien libéré, c’est Ayman, un de mes supers potes. Après son arrivée en France, il a été été le sujet d’une émission dans laquelle, il racontait sa vie sexuelle à Inès Leraud, intitulé l’égyptien libéré : tu peux découvrir le podcast sur Arte Radio. Je te mets le lien ici.
Ayman a grandi dans un milieu pauvre, et vécu à Alexandrie et dans la campagne égyptienne, dans des univers de promiscuité, de violence et d’agressions sexuelles. Un univers où la notion de consentement n’existe pas, où les hommes abusent des femmes, et où les femmes aussi abusent des enfants et des adolescents.
Ayman, quand il raconte cela, ça le fait marrer. Pour lui, c’était drôle, c’était son quotidien. Quand la violence est partout autour de toi, tu finis par penser que c’est normal. Et tu minimises toute souffrance, pour te concentrer sur ce qui te donne du plaisir. Pas consentant, mais content.
Quand j’ai ré-écouté ce podcast récemment, il m’a beaucoup questionné sur la société égyptienne, sur les capacités de résilience de l’humain, sur l’origine de la violence. Il m’a beaucoup fait réfléchir aussi sur les différences de repères, de perceptions et de définitions entre l’occident et l’orient.
Ce qui est normal là, ne l’est pas ici. Et inversement.
Et comment, chercher à comprendre l’orient, le monde arabe, l’Égypte à travers les filtres de l’occident, induit forcément des erreurs de jugement et des interprétations. On pourrait par exemple s’interroger, si tu écoutes le podcast, sur le choix du titre, de la musique, et de l’habillage qui connotent et orientent la compréhension de l’émission.
Je ne crois pas que l’expérience d’Ayman peut-être généralisée à toute la société égyptienne. Disons que je ne préfère pas le croire. L’Égypte que j’ai connue me parait différente. Mais je n’y ai pas fréquenté les mêmes milieux, et son témoignage montre toutefois qu’il est loin d’être un cas isolé.
Dès l’adolescence, Ayman a eu une sexualité très ouverte, couchant tantôt avec des filles, tantôt avec des garçons. Pour lui, comme pour ses amis garçons, c’était simple : ils aimaient les filles. Mais quand les filles n’étaient pas disponibles, ou accessibles, et bien ils jouaient entre garçons à se donner du plaisir. Sans jamais se poser la question de leur appartenance, ou de leurs orientations sexuelles.
Ayman, me dit qu’il n’a jamais eu autant de liberté sexuelle qu’en Égypte. L’interdit là-bas ne se trouve pas dans l’acte et le faire, mais plutôt dans la nominalisation.
– Sexuellement, il y a plein de choses que tu peux faire en Égypte et beaucoup plus facilement qu’en France. Mais le dire, c’est autre chose.
C’est en arrivant en France, que des gens lui ont demandé :
– Comment tu te définis : Es tu Homo ? Hétéro ? Bisexuel ?
Ces mots-là ne faisaient pas partie de son vocabulaire. Et là, il se retrouvait à devoir se positionner. Et il a vécu cela comme une limitation.
Au fond, est-ce si important ?
Moi, qui jusque là, ait toujours recherché la clarté, et ressenti le besoin d’appeler un chat un chat, pour comprendre précisément le monde, et savoir de quoi on parle, je réalise à quel point pour Ayman, laisser les choses en suspens, ne pas les nommer peut aussi être un mode de vie, qui au delà de sa personne, est peut-être même caractéristique d’un pays, ou d’une culture dans laquelle la paix sociale repose sur la préservation des apparences, les non-dits, et le respect des traditions. Les mots peuvent être dangereux.
J’en viens à me demander si, en voulant mettre des étiquettes sur nos préférences, en voulant nommer et classifier notre sexualité en terme d’appartenance ou d’orientations, nous ne sommes pas en train de l’enfermer. Est ce que la réalité n’est pas souvent plus variée, plus subtile, plus riche que les mots dans lesquels on l’enferme ?
Finalement notre langage, est-il un outil de libération ou d’aliénation ? Les mots ne deviendraient-ils pas notre prison, dès que l’on cherche à se définir à travers eux ?
J’ai tendance à croire que mettre un mot sur un objet, un acte, une sensation, une émotion, c’est libérateur. C’est même un des axes de l’accompagnement thérapeutique.
Avec mes clients, je leur demande systématiquement ce qu’ils ressentent. Souvent certains répondent : je ne sais pas. Alors, je les invite à prendre le temps, à chercher, à préciser, jusqu’à réussir à nommer l’ensemble de mouvements, des sensations et des émotions qu’ils vivent. Et quand ils arrivent enfin à nommer leur état interne, c’est souvent soulageant.
C’est d’ailleurs aussi un des axes de reconstruction et de désensibilisation émotionnelle, pour les personnes qui ont vécu des traumatismes : réapprendre à nommer précisément ce qui s’est passé, et à le remettre en chronologie, pour sortir de l’état de sidération et d’aphasie qui les touche parfois.
Mais parfois, le langage et les mots ont une charge et une connotation si forte, qu’ils peuvent influencer et transformer la perception même de l’expérience vécue. Ainsi, lorsqu’Ayman est en relation avec ses amis garçons, est-il juste pour lui d’appeler cela relations homosexuelles, alors que ce qu’il vit ce sont des jeux (interdits) entre potes ?
En Égypte la question serait vite répondue : C’est bien plus choquant et plus dangereux de se revendiquer gay ou homosexuel, que d’avoir des relations sexuelles entre hommes.
Cela me fait penser à l’un des préceptes de l’Advaita Vedanta dont je parle dans cet article (la boucle hypnotique)
Tout ce que tu crois être, tu ne l’es pas.
Et c’est peut-être lorsque les mots viennent définir notre identité, c’est à dire tout ce que tu peux rajouter derrière une phrase comme
Je suis…..
que finalement ils nous éloignent de notre vérité.
Dans un des cercles d’écriture que j’organise, j’étais parti d’une phrase aussi simple que “Je suis un homme” et j’avais commencé à la questionner. Est-ce vrai ? Comment je le sais ? Qu’est ce qui me définit en tant qu’homme ? Le langage ? Mes organes génitaux ? Le rôle dans lequel on m’a placé ?
Mais si je ferme les yeux un instant, et que j’oublie mon assignation, et mon histoire, et que je me concentre seulement sur mon état interne, comment je le sais que je suis un homme ? D’ailleurs, le suis-je ?
L’expérience a été perturbante. Elle a ouvert la porte à un espace infini de possibilité, et de perceptions, dans lesquelles une phrase aussi simple que “je suis un homme” n’avait plus aucun sens.
Tout ce que tu crois être, tu ne l’es pas.
Dans un des épisodes du podcast, Ayman raconte que vers l’âge de 8 ans, il s’est laissé entrainer par un pédophile, qui a essayé de l’embrasser. Réussissant à s’enfuir, il s’est réfugié chez son oncle, à qui il a raconté tout ce qui lui était arrivé.
Apprenant cela, l’oncle d’Ayman lui a donné une raclée magistrale, comme si c’était lui le fautif. Et Ayman en a tiré une leçon : ne rien raconter aux adultes. C’est même peut-être plus dangereux qu’autre chose.
Nommer les choses, n’est pas toujours libérateur. Parfois, c’est se taire qui permet de s’en sortir.
Bon, je suis quand même bien content qu’il ait pu, des années plus tard, témoigner de son expérience, dans l’égyptien libéré.
Et toi alors, comment tout cela résonne chez toi ?
Je serai curieux d’avoir ton avis sur le podcast d’Ayman.
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wah… Il y a tellement de choses qui me touchent ici…
Juste quelques partages :
Sur la violence et sa banalisation…
J’étais surprise en arrivant en France d’entendre nommer violence ce qui à mes yeux relevait d’un quotidien « normal », socialement toléré. Et je me suis demandée si je n’étais pas avec cette nouvelle grille de lecture en train de réécrire mon histoire et de m’autocréer des traumas. Cela m’a préoccupée pendant très longtemps, notamment en séance d’hypnose. Est ce que l’émotion « refoulée » aurait été la même sans ces données nouvelles ?
Un livre qui m’a beaucoup marquée et qui aborde les thèmes évoqués par Ayman (violence, misère, sexualité, prostitution…) est « Le pain nu », de Mohamed Choukri. Récit autobiographique qui se déroule à Tanger et qui était encore interdit au Maroc dans mon enfance.
https://www.radiofrance.fr/…/mer-de-misere-mohamed…
Je n’ai pas écouté toutes les histoires d’Ayman, mais je suis aussi frappée par ce filtre « occidental » que tu évoques et qui me dérange dès le titre, « l’égyptien libéré ». Ca sous entend quoi ? Le jugement est déjà posé. L’Orient, et Edward Saîd en parle longuement, reste toujours un fantasme (positif ou negatif). Et j’en fais très souvent l’expérience.
Le témoignage d’Ayman me touche beaucoup. Mais qu’en serait-il si Ayman était une femme ? Il parle de la liberté sexuelle qu’il a connue, mais est ce toujours une liberté quand elle est cachée (« tout ce qu’on peut faire avec des filles voilées », dit-il… c’est vrai… mais elles sont protégées par leur voile…).
Je pense aussi que l’interdit permet d’aller plus loin, d’être plus créatif, de tester, inventer (toutes les pratiques qu’on peut inventer pour rester vierge par ex… en France tout me paraissait bien trop basique 😅)
J’avais fait il y a longtemps une étude sur le cinéma iranien, et je me souviens m’être longtemps interrogée sur l’impact de l’interdit dans le développement de cette nouvelle vague si vivante, si créative.
Je dirai que la société dans laquelle j’ai grandi ne m’accordait pas plus de liberté, mais me permettait paradoxalement plus d’expérience(s).
En ce qui concerne les mots qui enferment…
Je suis toujours étonnée par cette invitation à définir, là où naturellement je ne me serais pas posée de question. C’est un peu ce que je mets dans le « inchallah attitude ». Un état de confiance et d’abandon. Comme si définir limitait le champ des possibles. En même temps, nommer permet de rendre manifeste ce qui est. Nommer c’est aussi responsabiliser.
En accompagnement, je n’invite pas forcément les personnes à nommer, mais plutôt à vivre, à laisser venir, et à reconnaître, à leur manière. Peu importent les mots.
D’autant plus si l’hypnose ouvre les portes de l’imaginal, l’expérience devient alors indicible.
Merci pour ces partages. Tout cela m’a rendue bien nostalgique.
Merci Farah, ton commentaire est précieux.
Je retiens la question. Qu’en était il si Ayman était une femme ?
Je ne sais pas.
Et j’ai envie de la poser à Ayman.
👍🏽