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Il y a quelques années, je rêvais de faire découvrir Ozu, Bunuel, Keaton, John Ford à mes enfants, pendant des soirées cinéma. Finalement, c’est devant « Qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu » qu’on a passé la soirée d’hier. Et je me suis demandé, ce que j’avais fait au bon Dieu pour choisir de leur montrer un film comme ça.
– Qu’est ce que j’ai fait au bon Dieu, hein ?
– Euh….des enfants ?
Le plus fou, c’est que j’y ai pris du plaisir. Pas au film, mais à la soirée. Et le lendemain matin, quand je suis allé au marché, acheter des fruits avec ma fille, là aussi, j’ai pris un plaisir fou.
Il y a peu, j’aurais vécu ces moments comme les pires des corvées. Je crois que je suis en train de murir. Comme les fruits de saison. Ceux qui tombent de l’arbre. Et qui vont bientôt mourir.
Dans ta jeunesse, tu es insouciant. Tu te poses pas trop de questions. Tu vis. Les fêtes, les soirées jusqu’à l’aube, le plaisir, et l’inconscience vis à vis de demain.
Et puis, les décennies avancent, tu deviens parent, tu croises la séparation, et tu rentres dans le cycle des décès familiaux, qui ouvre un gouffre devant toi, et te dit :
Ça y est, tu rentres dans l’âge mûr.
Parfois c’est un choc, une maladie où tu as cru que tu allais y passer, qui te précipite dans cet âge où demain n’a plus le même sens. Il ne rime plus avec insouciance.
Ton temps n’est plus illimité. Et là, tu réalises que la vie en fait est super précieuse. Alors, c’est la crise, la remise en question. Même cette sécurité que tu as réussi à conquérir, avec ta maison, ta voiture, ou tes revenus, ne te suffit plus. Demain approche. Et ça te fait peur.
Tu ouvres une nouvelle porte, et rentres dans le monde lucratif de la re-con- quête de sens. Et là, tu investis dans ton bien-être personnel : thérapie, livres, stages, voyages péruviens, et autres substances alchimiques…
Au début, c’est glorieux. Comme tout ce qui est nouveau. Tu déterres quelques lièvres, te rends compte que maman, à qui tu en voulais beaucoup, au fond, elle t’a donné beaucoup plus d’amour que tu ne croyais, ou que papa, que tu vénérais comme un modèle, au point de l’idéaliser, et de te dévaloriser, en fait, c’était juste un con.
Tu t’autorises à être en colère, ou à te pardonner. Ou les deux.
Et tu apprends à te différencier.
Tu as l’impression qu’enfin tu es libre. Que tous les choix que t’avais faits jusque là, c’était par rapport a eux, et à tes ancêtres . Que t’étais prisonnier d’un système, programmé, configuré malgré toi.
Et enfin, tu te déshypnotises ! Tu parviens à voir le monde selon ta propre vision, tu t’affirmes en fonction de références qui sont les tiennes.
Tu te sens libre.
Tu découvres que le basilic, que tu détestais petit, en fait, il a bon gout, et que les tisanes, ces trucs ridicules autour duquel se réunissaient les vieilles mamies, en fait, c’est pas si pourri que ça.
Et tu repenses à demain, soulagé.
Et un jour, sur ton chemin vers demain, tu tombes en panne sur une autoroute, et ça prend des proportions considérables.
Tu ne comprends pas.
Pourquoi après toutes ces années de travail sur toi et d’évolution incroyables, tous ces sous dépensés et ce temps investi en thérapie et en travail sur toi, t’as l’impression d’en être exactement au même point ?
Comme si la vie n’est qu’une roue qui tourne sur elle-même, et qui te ramène au point de départ
Et c’est le démarrage d’une nouvelle crise.
Celle du « à quoi bon »
Par hasard, tu retombes sur les disques que t’écoutais quand t’avais douze, ou treize ans. Et tu te rends compte que c’était pas si mal que ça. Et là, soudain, tu as l’illumination.
Tu comprends que tu t’es fourvoyé dans le développement personnel, et la recherche du mieux-être, et qu’en fait, il te suffit de t’accepter tel que tu es.
Et au bout de ce chemin, au bout de ces années de thérapies, de tentatives de résolution de tes problèmes, tu te retrouves à cueillir des fleurs et des champignons, à t’extasier devant un coucher de soleil ordinaire dans ta ville de banlieue, à te rendre compte que l’amitié c’est cool, et que le bonheur se trouve peut-être juste dans une discussion avec ton primeur, au marché de quartier. Celui qui te parle de ses fruits de saison, bien murs, ceux qu’il cueille dans les arbres.
Ces fruits que tu mangeras.
Et qui après, à leur tour, te mangeront.
Sur le trajet du retour, quand tes jambes commenceront à avoir du mal à te porter, tu te rendras compte qu’en fait, t’étais déjà heureux depuis le début. C’est juste que tu t’en rendais pas compte.
Même quand le nombre de demains diminuera, même quand il n’en restera plus qu’un seul demain, demain sera toujours aussi loin.
Alors ne laisse pas demain abîmer les fruits qui poussent dans l’arbre d’aujourd’hui.
Bon, désolé, j’ai un peu spoilé le film. En plus la fin, elle est pas si intéressante que ça. Elle était même assez prévisible, en fait.
Mais c’est juste que des fois, on s’en fout de la fin.
Des fois, même le film le plus nul du monde, tu peux en faire un moment de bonheur.
Alors remercie le bon Dieu.
Et n’oublie pas, demain, d’aller au marché.
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lumineux