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J’ai 48 ans. Et d’après mes calculs, J’ai déjà accumulé plus de 14 années de sommeil complet dans ma vie. 5112 journées complètes de dodo. Enfin, 5112 nuits, enfin, je ne sais plus…

En tout cas, j’ai dormi pendant 122 673 heures.

Pas une seule minute pendant ces quatorze années, mon cœur ne s’est arrêté de battre. Pas une seule fois, mes poumons n’ont cessé de fonctionner. C’est à se demander ce qui dort en moi, quand je m’endors.

Ou plutôt, quand JE s’endort.

Ne vous endormez pas, Namir, restez avec moi s’il vous plait

– Difficile de résister… mes paupières sont extrêmement lourdes, mes yeux se ferment

– Ne rentrez pas dans ce sommeil. Revenez aux sensations dans votre corps, et décrivez-les.

– Je…. Je ressens…. C’était quoi la question ?

– Nous étions partis de cette sensation de peur dans votre ventre. Ca vous arrive souvent, d’avoir ces envies de dormir ?

Longtemps, j’ai cru que mes endormissements étaient l’expression d’une fatigue physique. Il m’arrivait de m’endormir rapidement devant un film, même de qualité, ce qui est assez paradoxal pour un cinéaste, et m’a valu quelques embarras, lorsque j’étais invité à des projections privées de films réalisés par des amis et collègues, qui attendaient mes retours.

Le sommeil m’a saisi de nombreuses fois, en présence d’amis pendant des conversations qui duraient un peu trop longtemps, devant mon ordinateur, en plein milieu de l’écriture d’un article parfois.

En thérapie, cela m’arrivait aussi, et parfois de manière soudaine. En réalisant que je m’endormais aussi pendant des séances, lorsque mon thérapeute me posait certaines questions qui mettaient en jeu des émotions, auxquelles je ne savais pas répondre, j’ai commencé à me demander si le sommeil n’était pas un état d’hypnose profond, un mécanisme de défense déclenché par un sentiment de menace.

Mais quelle menace y aurait-il à regarder un film : L’ennui ? L’incompréhension ?

Certaines émotions seraient elles si insoutenables, que mon organisme préfèrerait m’évader, m’échapper, et retrouver un espace de sécurité, enveloppant plutôt que de s’y confronter ?

Enfant, dans mon lit, j’étais obsédé par une étrange question : où vais-je pendant mon sommeil ? Est-ce que dormir, c’est comme être mort ? Un état où on ne ressent rien, où on ne se souvient de rien ? L’état qui était là avant notre naissance. Et qui reviendra après notre vie ?

Bien décidé à le savoir, je m’étais mis à le guetter

Je voulais observer le moment où le sommeil allait arriver dans mon lit.  Alors je m’allongeais et attendait les prémisses de mon endormissement. Me disant que je pourrais ainsi connaître son secret. Comment il faisait pour triompher de moi et m’emporter dans le monde de l’oubli.

Je voulais être plus fort que lui.

Et souvent le matin je me réveillais, dégouté, d’avoir été pris en traître. Encore une fois, je ne l’avais pas pu venir.

Et je renforçais ainsi chaque jour mon sentiment d’incompétence.

Un jour, je rencontrerai le sommeil. J’irai avec lui visiter les mondes endormis, et je reviendrai révéler aux autres le grand secret :

– Hey, les amis, moi je SAIS enfin où on va quand on dort.  Je sais enfin qu’au moment où nous dormons, vous et moi, les amis, nous quittons notre corps, et nous nous réunissons dans un endroit au dehors. Nos esprits se rencontrent. Jouent. Se réunifient. Ou se dissolvent.
Notre corps n’est qu’un costume qu’on emprunte pour entrer sur terre, comme d’autres revêtent un manteau pour sortir de chez eux. 

Mais si je quitte mon corps pendant le sommeil, qui donc fait battre mon cœur, respirer mes poumons et maintient toutes les fonctions vitales de mon organisme ?

Je me souviens d’une lettre d’Arthur Rimbaud, étudiée au lycée dans laquelle il écrivait cette phrase :

C’est faux de dire : Je pense : on devrait dire : On me pense. Je est un autre.

Je me souviens aussi de mon malaise, et de mon dégoût à la lecture de ces phrases, que j’avais attribué, à l’époque, à ses fautes de conjugaison. L’idée que ce qui dit « je » en moi, ne soit pas moi, ou juste une petite partie de moi, et que je ne sois pas le véritable capitaine de mon vaisseau, déjà, me déplaisait.

Et si nous n’étions pas un esprit habitant un corps, mais l’inverse : un corps vivant, encombré d’un esprit capricieux, et qui, à certains moments, l’envoie balader cet t dehors le temps de se reposer, de retrouver un peu de paix.

Et comme ce grand organisme est sympa, lorsque le petit esprit teigneux revient toquer à la porte du corps pour lui dire :

«  Hey vas-y, ouvre moi la porte s’il te plait, laisse moi entrer »

Alors ce dernier, dans son immense générosité, l’accueille à nouveau. Et l’esprit, brumeux réintègre cette enveloppe corporelle.

Alors, notre sommeil deviendrait réveil. Ce moment où enfin, librement, nous pouvons respirer et utiliser notre énergie à autre chose que des luttes intestines.

Il serait là, le secret : Le sommeil qui m’abandonne, me rend à moi-même.

Il est 7h21, et je suis en train d’écrire cet article, les yeux grands ouverts, m’interrogeant sur ce mystère qui plus de 5000 fois, m’a cueilli. Mais n’y suis je pas en ce moment même ?

Comment je sais si je suis bien réveillé, et si ce n’est pas un rêve ?

Un rêve dans lequel je rêve que je suis réveillé, et qui se terminera lorsque j’irai me coucher, à la sonnerie de mon réveil, et que je pourrai enfin rentrer dans cette réalité qui est notre rêve le plus profond.

Un jour, je m’en souviens, j’ai trouvé le secret du sommeil.

Je me suis réveillé tout fier, j’ai bondi de mon lit, à toute berzingue, pour aller le raconter à mon père. Et à peine arrivé devant lui, j’ai vu ma joie s’évaporer sous mes yeux. Plus rien d’autre, que le vide, l’incompréhension, et l’immense frustration de l’homme du désert qui essaye de contenir l’eau entre ses doigts, et la voit glisser sur sa peau. Mon secret s’était enfui.  Mon père lui, s’était bien réveillé.

– Papa, ou on va quand on dort ?

– On va dans son lit, Namir. Ça suffit les questions, maintenant. Dors.

 

 

 

 

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