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Chaque semaine, je donne la parole à des collègues, amis, hommes et femmes qui se racontent courageusement dans leur rapport à l’intime, au désir, à la sexualité, au regard de l’autre, à la honte, à la culpabilité. Qu’est ce qui les a fait évoluer, ce qu’il/elles ont réussi à dépasser, ou ce avec quoi chacun bataille encore sur ce sujet qui nous appartient tous.
Voici le témoignage de Salomé.
J’avais 16 ans lors de ma première relation amoureuse et mes premiers ébats. Un jeune homme charmant, intriguant et sombre parfois. Cela contribuait à le rendre attirant à mes yeux. Cette histoire débute plutôt très bien…avec la légèreté des premiers émois.
A l’âge de 17 ans et 363 jours ma mère décède brutalement . Le passage à « l’âge adulte » a été pour ainsi dire fracassant. Je ne m’explique toujours pas aujourd’hui ce qui s’est réellement passé. Cela n’a peut-être aucune importance. Toujours est-il que le comportement de celui que j’aimais alors est devenu pour le moins incompréhensible. C’était comme si il ne supportait pas de me voir fragile. Il a commencé à me secouer doucement… puis violemment. Dans les paroles et lentement mais sûrement dans les actes. Peu à peu j’ai embrassé la terreur et l’enfermement. Au bout de deux années d’effroi, une fausse couche cauchemardesque et des bleus au corps et à l’âme, j’ai décidé de disparaître. Et je me suis littéralement enfuie, partie à l’étranger sans laisser d’adresse.
J’ai tenté de me reconstruire peu à peu en partant du chaos qui me constituait. Les bras ballants jusqu’à terre, j’avançais comme une âme vide cherchant en moi une étincelle d’humanité. Et ce grand RIEN qui m’animait m’a entraîné vers les rencontres les plus sordides qui soient. Par chance, j’ai aussi croisé sur mon chemin quelques étoiles qui mises bout à bout sur la guirlande chancelante de ma vie m’ont apporté une douce lumière…une amorce de résurrection.
Et j’ai suivi mes pieds jusqu’à chaque lendemain. Je n’étais pas animée par la joie mais elle s’est présentée parfois. De plus en plus souvent. Bien sûr j’ai détesté mon corps et je suis passée par l’enfer des troubles du comportement alimentaire.
Bien sûr j’ai méprisé les hommes et j’ai été incapable de construire une relation de plus d’une nuit toujours avec l’aide précieuse de l’alcool.
Bien sûr j’étais méfiante de tout compliment ou geste affectueux comme j’attendais toujours le revers de ces élans. Mais les amitiés sincères m’ont permis d’envisager un retour vers moi-même…cela puis quelques années de psychanalyse.
La langue enflammée, des bleus sur tout le corps, je me déplaçais avec un cane et me nourrissait avec une paille. J’ai découvert dans ce parcours la notion d’hystérie. Heureuse qu’alors, on ne me trempe pas dans une baignoire d’eau glacée pour calmer mes troubles comme c’était la coutume il n’y a pas si longtemps.
De retour en France, j’ai rencontré l’amour. J’avais pourtant prévu qu’il me jette, mais il est resté. Comme si j’avais de la valeur. On s’est installés ensemble au bout de deux ans.
J’étais totalement handicapée. J’étais intouchable, tout contact affectueux me tétanisait et tout mon corps se figeait malgré la délicatesse de ses gestes. Quand le désir s’éveillait en moi, mon sexe se faisait douloureux jusqu’à l’insupportable. J’ai commencé à développer des infections après chaque rapport comme une punition et nous n’avions quasiment aucune relation sexuelle. Mais il est resté. Je l’ai prié d’aller voir ailleurs et de s’offrir ce que je ne pouvais donner, mais il a refusé. Il a essayé m’a-t-il dit, mais ça lui était impossible. Un jour c’en était trop pour lui, pour moi. Nous nous sommes séparés. Et un mois plus tard on s’est retrouvé car l’amour était toujours vif.
Un soir, j’étais à la maison pour préparer mes partiels et lui rejoignait des amis pour fêter sa rupture conventionnelle. Nous prévoyions de nous installer après mes examens à la Réunion, sa terre natale. La nuit, on sonna à la porte, c’était la police. Elle venait m’annoncer son décès. J’ai perdu mon corps cette nuit là. Plus rien ne fonctionnait. Je n’ai que peu de souvenirs à vrai dire de cet épisode traumatisant.
J’ai suivi une lente rééducation à la vie dans mon corps. J’ai réappris à manger, à marcher, à pisser et tout le reste. Mais l’amour…l’amour s’est endeuillé en moi comme jamais. Et je me suis pourrie d’avoir ruiné sa courte vie de mon incapacité à jouir et à désirer.
Femme latente, femme chiante, femme ?
Plus tard, j’ai rencontré celui qui est devenu mon mari. J’ai été cash : « Tu ne m’appartiens pas, je ne t’appartiens pas. Fais ta vie sexuelle et moi la mienne tant que ce qui nous lie est sincère »
Évidemment, nous n’avions pas le même rythme mais cet équilibre a tenu un temps. Il trouvait ailleurs ce que j’avais du mal à lui offrir, quant à moi, je craignais toujours le désir et la seule expérience que j’ai pu avoir hors du couple m’a semblé extrêmement violente tant elle manquait d’amour. J’ai essayé de me convaincre que l’amour libre était l’amour vrai, mais en réalité, à ce stade de ma vie, je me sentais tellement insuffisante, incomplète, que j’ai concédé plus que je n’ai choisi. Je ne voulais pas emprisonner son désir même si il devait s’exprimer dans les bras d’une autre.
Concernant mon propre désir, j’ai travaillé dur pour qu’il s’anime. Jeux, bougies, parfums, encre au chocolat…j’ai tenté d’éprouver la poésie de l’amour. Et ça a fonctionné parfois. Cette relation m’a permis de me sentir aimée sincèrement et j’avais une pulsion de vie tellement débordante, qu’elle m’a comblée profondément. J’étais avec un gentil, un vrai ! Mais l’amour idéalisé était toujours en deuil. Celui qui me disait qu’au fond, malgré mes difficultés j’étais aimable toute entière et sans condition.
Y-a-t-il des conditions à l’amour ? C’est un débat que j’ai eu avec mon père sur le bateau en partance pour le Maroc. C’est souvent là que nous avons eu nos plus beaux échanges. Mon père m’a dit « L’amour ne se mérite pas. Il est ou il n’est pas . Et si l’amour de l’autre se fait plus grand que l’amour de toi, alors il faut faire un choix » Un mois avant le retour en France pour méditer à cela.
A mon retour, le divorce fut engagé, avec beaucoup de peine car l’amour était là, mais j’étais partie déjà.
Partie pour un autre. Un qui avait rallumé l’étincelle… tu te rappelles ?
L’étincelle, celle qui depuis tant d’années gisait dans l’ombre. Je n’ai aucun argument pour cet amour là, d’ailleurs on s’en fout non ? C’était là, plus brillant que jamais. Et je m’y suis jetée corps et âme pour le meilleur…et pour le reste. Il était plus âgé que moi et avait déjà des enfants. On a bâtit notre amour et pansé nos blessures à mesure. Il y en avait du matos. Rien n’était simple, que nos moments d’amour. Il m’a aidé à regagner mon corps et moi le sien. Et puis la vie…peu à peu, le travail l’a amené à partir dix jours par-ci, dix jours par là. Ses enfants voulaient des moment privilégiés parfois puis à chaque fois. Son ex-femme était comme un poison qui coulait dans ses veines et portait son ombre jusque sur notre toit. J’ai accepté tant de choses par amour pour lui !
Un soir, au détour d’un message sur son téléphone, je m’aperçois qu’il a une relation avec une autre femme. J’étais alors enceinte de notre deuxième enfant. C’est comme si tout le chaos en moi s’était rouvert. En réalité, avec le recul, je me rends compte que cette plaie était toujours béante et j’ai été tentée de lui faire porter le poids de toute mon histoire. J’ai tellement souffert, je sentais bien que c’était démesuré, mais je ne pouvais pas contrôler cela.
Je me suis sentie moins que rien, tout juste bonne à m’occuper des enfants, utilisée, réduite, trahie. Je l’ai insulté comme jamais, j’étais folle de douleur ! Il me semble avec le recul, que je me sentais à ses côtés comme une étoile que rien ne pouvait ternir, protégée comme une princesse dans son putain de palais. J’en avais tant rêvé ! J’ai sombré.
Et je m’en suis remise. J’ai fini par comprendre que c’était nos blessures qui s’entre-choquaient dans ce schéma. Plus de princesse, plus de palais, moins d’étoiles et des nuits longues à réécrire l’histoire. S’en est suivi la paix…une forme de capitulation à la peine. La mort de quelque chose, je ne sais pas bien encore quoi.
L’amour est toujours là, parfois on s’enflamme, mais souvent on s’enlace. Nos corps s’entendent et se comprennent de mieux en mieux. Aujourd’hui j’accepte autrement que son désir l’emmène ailleurs. C’est un peu douloureux, parce que je peux encore me sentir « pas assez » alors que j’ai tellement évolué dans mon corps, dans mon désir. Je ne suis pas une déesse du sexe mais je me suis ouverte à lui sans frontière. Je distingue amour et désir, et j’apprends à faire autrement.
Depuis peu, j’ai un amant. Un homme doux, vers qui je peux aller quand je sens. Je ne suis pas très à l’aise, j’ai dû faire un pas de côté pour vivre cette relation. J’aime la tendresse qui nous lie et je laisse grandir le désir même si je crains encore qu’il me consume de toutes les manières que je sais trop bien imaginer. J’essaie de garder mon calme, de simplement le vivre. Je dois bien constater que le désir pour mon compagnon a grandi depuis et que je me sens moins passive, comme si j’avais regagné ma place. Comme l’amour est étrange !
Je crois à présent qu’un amour est fait de pleins d’amours. Chaud, froid, tiède, brillant ou opaque, dense ou éthéré. Il est aussi parfois là où on croit qu’il est absent. Dans les manques, les blessures ou les deuils. Je crois qu’il est le haut lieu de l’intime et qu’il nous guide vers nous-même avec et à travers l’autre. L’amour est vivant !
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