Version audio Version texte « Elle est là, Namir. Voilà ce que m’a dit une amie dont j’avais oublié jusqu’à l’existence, avant de la recroiser par hasard dans une rue du 15ème arrondissement. Mouais. J’ai mis tellement de temps à sortir du déni, et à accepter la souffrance de la perte de ma mère, que sa remarque m’a effet l’effet d’un crachat. J’ai eu envie de lui répondre. De quoi tu te mêles ? Je me suis contenté d’une réaction plus mesurée Qu’est ce que t’en sais ? Le soir même, en retournant dans l’appartement désormais inhabité de mes parents, j’ai retrouvé la nappe du salon, au pied de la machine à laver, à l’endroit même où je l’avais laissée quelques jours plus tôt. Et l’angoisse m’a saisie. Mon amie sentait les présences des fantômes, moi je sentais surtout le vide sidéral de l’absence, de ces objets que tu retrouves à l’endroit où tu les as mis. Sans plus personne pour les déplacer. Comment aurai-je pu imaginer que cette manie qu’avait ma mère de tout ranger derrière moi, et qui m’insupportait, me manquerait autant. Quel sens a donc la vie quand il n’y a plus personne pour perturber l’ordre que tu veux imposer au monde ? Un jour viendra où je regretterai à mon tour les chaussures de mes enfants éparpillées dans l’entrée, le linge qui déborde du panier, les jeux qui trainent dans le salon, le bordel de la vie, quoi… J’ai repensé à mes visites dans l’appartement quand mon père m’y accueillait heureux, avant d’aller, après le bonjour d’usage, s’isoler dans sa chambre devant la television.Je comprenais pas pourquoi il ne profitait pas de ma venue pour discuter, et j’avais fini par prendre son attitude pour de l’indifférence. Je réalise maintenant que le lien qu’il recherchait avec moi, ne passait pas par le dialogue, mais par ma simple présence dans dans son espace, et par le désordre que je laisserai en partant. L’espèce humaine est elle la seule qui ait conscience de sa propre disparition ? Est-ce pour cela que nous ressentons autant d’angoisse, et que nous développons toutes sortes de solutions pour y échapper. Comme imaginer des fantômes présents sous des nappes immobiles.
« Elle est là, Namir. Ma copine avait activé ma colère en affirmant maladroitement des croyances auxquelles je n’adhérais pas, sans considération pour ce que je pouvais penser. Passé le ressentiment, je me suis demandé si ses croyances la rendaient plus heureuse que moi. Et si moi, j’avais plus raison qu’elle de croire ce que je croyais. Au fond, ça veut dire quoi faire le deuil d’un parent ? Accepter notre propre finitude, celle des gens qu’on aime, pleurer, ressentir le vide, la tristesse de les laisser partir, et souffrir jusqu’à ce que l’intensité de la peine peut-être diminue et qu’on soit à nouveau disponible à la vie dans ce qu’elle apporte de joie et de tristesse, de douceur et de violence ? Ou rester en lien avec nos disparus ? Les sentir vivants à nos côtés, les rechercher partout, dialoguer avec eux, et avoir l’impression qu’ils nous voient, nous entendent, nous ecoutent et nous répondent ? Face à cette équation à une inconnue qu’est l’existence, il ne nous sera jamais possible de savoir ce qui est vrai ou pas. Nous pouvons juste de décider ce en quoi nous voulons croire, et de la relation personnelle que nous souhaitons établir avec nos morts. Et si une nappe un jour s’envole dans ta maison, tu peux indifféremment expliquer ce mouvement par la force aléatoire du vent, par la présence de l’esprit facétieux de ta défunte mère qui vient à nouveau te déranger, et se manifester à toi. A toi de choisir ta vérité, c’est à dire la croyance qui t’aide le mieux à donner du sens à ta vie, sans chercher à l’imposer aux autres. Car tu ne sais jamais si un coup de vent, ne viendra pas un jour la balayer. Fais juste attention à ce qu’il ne t’emporte pas avec elle.
Ta mère est autour de toi.
Je sens sa présence très fort »
Je t’ai rien demandé.
Autour de toi.
Je sens sa présence très fort »
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