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Paris. 1979. École élémentaire. Rue de Marseille. J’ai 5 ans. Je veux jouer avec un groupe d’enfants, dans la cour de récré. L’un d’eux, le chef de la bande probablement, me dévisage.

– Casse toi, sale arabe

Quelques instants après, un petit garçon africain s’approche de moi, et timidement me demande si je veux bien jouer avec lui.

Ma réponse est immédiate

– Casse-toi, sale noir

Il faut parfois peu de temps pour apprendre à internaliser les attitudes et les comportements de son agresseur. Si on regarde cela en dehors de tout jugement moral, ce comportement et cette attitude sont des stratégies, plus ou moins efficaces, d’adaptation et d’interaction avec un environnement violent que nous intégrons comme nous pouvons et reproduisons à notre manière.

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer dans un précédent article “Faut-il tuer l’enfant intérieur ?”, comment une victime de violence, intériorise la violence qu’elle a subie.

Souvent lorsqu’on accompagne en thérapie un adulte victime de d’abus dans l’enfance, on est amené à travailler avec lui sur cette part blessée qu’on appelle enfant intérieur, négligeant parfois qu’à côté de cet enfant intérieur abusé, coexiste aussi un parent intérieur abusif, ou toute autre figure d’autorité que le client a internalisée.

Le client, ne s’identifie pas seulement à son enfant intérieur victime de persécutions, il rejoue une pièce dans laquelle il est, parfois simultanément, et l’enfant maltraité et l’adulte maltraitant. Et dans cette interaction symbolique, le persécuteur n’est pas toujours celui qu’on croit. (cf : article)

Il y a quelques années de cela, en Égypte, j’assistai à une conversation à propos de l’excision d’une de mes cousines, âgée de 12 ans. Son père y était défavorable. J’ai été choqué de découvrir que c’est sa mère, intraitable sur cette question, qui a finalement imposé l’excision.

Je n’arrivais pas à comprendre qu’une victime d’une telle mutilation, puisse imposer à sa fille cette pratique archaïque et patriarcale. Comment une femme peut-elle devenir la gardienne d’un système de domination qui l’asservit ?

Si je regarde cette femme à travers mes filtres et mon histoire personnelle, je lui en veux pour ce qu’elle a fait subir à ma cousine. Comme j’en veux aussi à ma mère d’avoir été le témoin silencieux de la violence de mon père, et de ne pas s’être interposée pour me protéger quand j’étais enfant. (épisode que je relate dans cet article « être un homme »)

Il m’est encore difficile aujourd’hui d’admettre, qu’à un niveau sociétal, cette tante maltraitante qui excise sa fille n’est pas entièrement responsable de sa violence personnelle, elle est, elle aussi, la victime d’une société de domination masculine.

On retrouve ici sans doute les mêmes mécanismes d’internalisation de la violence que ceux évoqués plus haut.

C’est sans doute là où se situe l’enjeu le plus complexe de l’évolution de notre société, dans la prise en compte de mécanismes d’internalisation qui dépassent l’individu et ne limitent pas la notion de domination masculine à une distinction binaire entre les hommes et les femmes, dans lesquels les hommes seraient forcément de méchants dominateurs, et les femmes de pauvres victimes.

Qu’est ce qui fait que les femmes sont encore victimes d’un système de domination où la très grande majorité des prédateurs et des agresseurs sont des hommes ?

A la différence des minorités opprimées, et des immigrés qui subissent aussi des discriminations et des violences, les femmes ne sont pas minoritaires sur terre.

Lorsque nous avons eu notre deuxième enfant, ma femme, pendant une année s’est mise à 80% de temps de travail, pendant que j’ai continué à travailler à mon film. A 200%.  

A l’époque, j’avais vécu cela comme un choix libre et consenti, et respectueux de l’équité de notre couple.

Puis je suis tombé sur un podcast des « couilles sur la table », où Céline Bessière et Sibylle Gollac analysaient, chiffres à l’appui, comment dans la quasi-totalité des ménages, ce sont les femmes qui optent pour un manque à gagner, et une perte de salaire, tandis que les hommes continuent à travailler à plein temps. Et voila comment, statistiquement, au moment de la séparation, l’écrasante majorité des couples se retrouvaient avec des inégalités salariales, les hommes ayant souvent un compte en banque plus fourni que leurs épouses.

Cet argent que l’homme a continué à gagner, grâce au sacrifice de son épouse appartient-il uniquement à l’homme : ne devrait-il pas justement être divisé en deux ?

J’ai réellement pris conscience à quel point derrière cette illusion de démocratie à l’intérieur de notre couple, se rejouaient des enjeux de domination sociale, politique et économique qui me dépassaient, et qui concernaient tout un système.

Le cinéaste Riad Sattouf explore cette question dans sa satyre « Jacky au royaume des filles » dans lequel des femmes au pouvoir dominent et asservissent des hommes, rejouant le même mécanisme de domination, en y inversant les rôles.

Nous avons besoin d’éclaireuses et d’éclaireurs de conscience pour nous aider à mieux voir les travers de notre société, et les endroits où, même inconsciemment, alors que nous croyons être justes ou équitables, nous sommes agis par des mécanismes de domination et de violence.

Et cela implique aussi un travail individuel, que l’on soit homme ou femme, pour nous questionner, identifier comment nous avons internalisés les codes de la domination masculine, et laissé s’immiscer en chacun de nous un agresseur intérieur.

Nous portons en nous ces paradoxes, comme ces femmes qui se revendiquent féministes tout en idéalisant leur papas, ou en étant sexuellement attirées par des mecs avec des attitudes de bad boys, ou comble de la misogynie, par des hommes galants et romantiques.

Difficile pour nous de faire la distinction entre ce qui est naturel, et nos conditionnements culturels, en particulier dans les domaines de la sexualité.

Personnellement, quand je me sens attaqué dans ma masculinité, par des féministes qui utilisent la meme violence que celles qu’elles condamnent, sans se remettre en question, j’ai juste envie…. de les envoyer se faire foutre.

Ah zut, j’avais oublié que notre langage aussi était un reflet de ces rapports de domination.

Nous vivons dans nos sociétés occidentales une crise d’identité, et c’est je crois une occasion inespérée de réfléchir ensemble à la manière dont nous voulons avancer et la faire évoluer en apprenant à nous défaire de la violence que nous avons subie, et que nous reproduisons.

Mais est-ce une naïveté de ma part que de croire que notre société puisse faire évoluer les relations hommes femmes, grâce à l’éducation, la connaissance de soi, et la pédagogie, sans faire du féminisme un outil de marketing à la mode, ou passer par des lois, des quotas, et d’autres mesures de discrimination positive ?

Cela impliquerait déjà d’apprendre à nous défaire de nos agresseurs intérieurs. Peut-être n’est ce tout simplement pas possible. Et que le seul moyen en notre possession pour faire changer les mentalités soit la révolte, le combat et la violence.

Je suis curieux de savoir ce que cet article t’a apporté.

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6 réponses
  1. Valérie
    Valérie dit :

    Ouais, ben si tu n’as pas envie de passer du temps avec tes mômes, il y a une option super efficace : ne pas en faire.
    Et si tu en fais, c’est bel et bien un choix.
    Et si tu vis le temps que tu passes avec eux comme un sacrifice, c’est bien triste. Surtout pour eux.

    Répondre
      • Valérie
        Valérie dit :

        Si on suit cette proposition, tous les choix qu’on fait deviennent aveugles. On fait et on voit ce qui se passe.
        Ça me paraît assez pertinent par rapport aux enfants, en fait : on ne peut pas imaginer ce que c’est d’avoir des enfants tant qu’on n’en a pas fait l’expérience.
        C’est sans doute un des paramètres pour assurer la reproduction de l’espèce, d’ailleurs.
        Mais pour d’autres choses, il me semble qu’on est capable de se projeter et d’imaginer ce que serait notre vie, au moins en partie, et de faire des choix en fonction de ça, non ?
        ou peut-être que c’est juste rassurant de le croire.

        Répondre
        • Namir
          Namir dit :

          j’en sais rien. Sans doute qu’être adulte, c’est avoir ce discernement et de pas avoir besoin de faire l’experience des choses, pour se projeter sur leurs conséquences. Je sais pas trop. un prochain article parle de mon processus créatif qui est compliqué parce que justement je n’ai jamais une idee claire du resultat avant de l’avoir fait.
          ce qui, pour financer un film est sacrément compliqué. Mais pour l’instant, j’ai pas réussi à faire autrement.

          Répondre
  2. Valérie
    Valérie dit :

    Un truc m’interpelle dans cet article : la notion de « sacrifice » quand l’épouse passe à 80% pour s’occuper des enfants. Pour moi, ce n’est pas un sacrifice. C’est une chance.

    Faire passer le travail, c’est à dire ce qui rapporte de l’argent au foyer, comme le plus important à accomplir dans une vie, est aussi une hiérarchie qui a tendance à diriger la vie dans notre société.

    Pour t’accomplir, c’est le travail. Ta progression dans le travail, l’argent que tu gagnes, c’est ta valeur. Et plus tu en chies, plus tu te bas, plus tu es valeureux.

    Alors le temps passé à jouer avec tes enfants, à leur préparer à manger, à leur apprendre à s’habiller, à faire leur lacets…, ne devient qu’une contrainte. Du temps perdu.

    On marche sur la tête.

    Répondre
    • Namir
      Namir dit :

      Hello Valérie.
      Tout dépend de tes valeurs et priorités. Si tu surkiffe ton travail et que tu t’épanouis dedans (ce qui etait le cas pour ma femme), choisir de passer a 80% c’est un sacrifice.
      Et par ailleurs, je ne vois pas en quoi passer du temps avec ses enfants est une valeur plus noble que travailler.
      Notre société semble d’ailleurs mettre en haut de la pyramide la relation parent enfant, comme si c’etait le truc le plus sacré. Y a qu’a voir le budget depensé dans les cadeaux, les fringues pour enfants, et les jouets. On nous fait justement beaucoup culpabiliser sur le fait de pas etre de bons parents. Alors que de plus en plus je m’interroge sur cette notion d’instinct maternel qui ne serait au fond qu’une grosse arnaque, une construction culturelle que l’on ne retrouve pas chez les animaux.
      Bah peut etre qu’on peut trouver que travailler, creer de l’art, transmettre, faire passer des idees, aider les gens est tout aussi noble, voire plus, que de vivre au quotidien avec des etree qu’on a pas choisis, qui attendent de nous qu’on les aime et qu’on s’occupe d’eux, alors que peut-être c’est pas notre truc.
      Donc, oui, dans ce cas précis, je maintiens le mot sacrifice.

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