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Au début, tu vois le monde, et il te paraît immense.

Petit à petit, ta vision se rétrécit, et il ne te reste plus à voir qu’une fenêtre, un petit coin de rue insignifiant.

Et tu contemples, curieux, une femme aux gros mollets traverser la rue, avec sa poussette et ses sacs de courses, des écoliers bruyants qui se partagent des bonbons,  et arrêtés au feu, des véhicules sans âme, reprennent leur route.

 

Et cette fenêtre devient alors la chose la plus importante au monde pour toi, ton seul lien avec l’univers.

Car, depuis ton déclin, il y a quelque chose de rassurant : la vie continuera après toi. Et savoir que tu n’en as été qu’un maillon insignifiant, sans avoir réussi à influer sur le cours du monde, n’est même plus angoissant.

 

 

Lorsqu’avec ma sœur, nous avons installé mon père en maison de retraite, nous avions voulu choisir la meilleure chambre pour lui, et avons été déçus que la chambre avec vue sur le jardin soit déjà prise. Mais nous l’aurions alors privé du spectacle de la vie.

 

– Tiens, que fait cet homme avec son gros casque ? Pourquoi s’arrête-t -il au milieu de la rue ?

Ah, il refait son lacet.

 

Qu’elle est importante cette fenêtre. C’est encore difficile pour moi d’envisager qu’un jour, peut-être je chérirai les coups de marteau du voisin sur notre mur mitoyen le dimanche matin, ou encore le bruit d’un scooter survolté qui vient déchirer le silence en pleine nuit .

Victor Frankl, dans « découvrir un sens à sa vie » relate un échange qu’il a eu avec une jeune prisonnière des camps, qui savait qu’il ne lui restait que quelques jours à vivre. Elle était cependant sereine et joyeuse, et même reconnaissante à son destin de lui avoir porté un si grand coup

– Dans ma vie passée, j’ai été choyée, et attaché trop peu d’importance aux choses du spirituel.

Pointant son index vers la fenêtre de la baraque, elle ajouta

– Cet arbre est le seul ami que j’ai dans ma solitude.

Elle ne voyait à travers la fenêtre, qu’une seule branche d’un marronnier, à laquelle pendaient des fleurs, des grappes fleuries.

– Je parle souvent à cet arbre.

Frankl, déconcerté ne savait comment interpréter ses paroles. Était-ce de la démence ? Était-elle victime d’hallucinations ?

– Et l’arbre vous répond ?

La jeune femme acquiesça :

– Oui. Il me dit « Je suis là. Je suis avec toi. Je suis la Vie Éternelle ».

 

Je ne sais pourquoi la lecture de ce passage m’a fait pleurer.

Je suis resté avec mon père. Et ensemble, nous avons regardé par la fenêtre.

Comme j’aurais aimé que cet instant ne s’arrête jamais.

 

 

 



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9 réponses
  1. nathalie
    nathalie dit :

    C’est une histoire d’images. En lisant ton texte, ce tôt ce matin, Namir, c’est l’image de la toute première photographie du monde qui m’est venue. 1826, Nicéphore Niepce met dans sa boite noire une plaque de métal enduite de bitume de Judée. 8 ou 10 heures plus, tard, il obtient la première image héliographique, comme il l’a appelée, Le point de vue du Gras. Et je ne sais pas pourquoi, mais une autre image m’est arrivée. L’image d’un fils et son père qui attendent, devant la fenêtre d’une chambre, qu’une image du dehors se forme dans une boite de bois placée sur une petite table, entre leur deux chaises. Je ne sais pas si Nicéphore avait un fils ou un père à l’époque, mais ils en auraient eu du temps pour discuter tous les eux devant la fenêtre… En attendant qu’une image peut-être apparaisse.

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    • Namir
      Namir dit :

      Oh, merci Frédéric. J’ai toujours cette appréhension quand j’écris, de me demander si cela n’est pas trop personnel, et ce qui fait qu’un lecteur s’y reconnaîtra. Je m’interroge encore entre le lien sur l’intime, le personnel, et l’universel. Et comment faire la nuance entre l’écriture qui inclut le lecteur, et celle dans laquelle il ne trouve pas sa place.

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