LA PERSONNIFICATION, UN PROCÉDÉ SIMPLE POUR CRÉER DES HISTOIRES

Les passerelles entre thérapie et storytelling (je n’ai pas le mot français) sont nombreuses. Si mon métier d’accompagnant s’est beaucoup nourri de ma pratique de scénariste, mon écriture aujourd’hui est aussi très influencée par mes apprentissages et expériences d’accompagnant.

Je vous partage dans cet article un procédé qui a transformé ma pratique de l’accompagnement, et que vous pourrez facilement transposer dans l’écriture, que ce soit pour trouver des idées d’histoires, ou entraîner votre créativité.

LA PERSONNIFICATION DANS L’ACCOMPAGNEMENT

En thérapie, les clients arrivent souvent avec des problématiques exprimées en termes de conflits intérieurs, c’est à dire du divisions du Soi.

On peut les déceler à travers des phrases comme : “c’est plus fort que moi”, “ça me dépasse”, “je ne me contrôle plus”, dans lesquelles le client fait une distinction entre “lui” et quelque chose d’autre (un comportement, des réactions, une émotion) dont il cherche à se différencier, et qu’il considère comme “pas lui”.

Le procédé de la personnification consiste alors à transformer les différents aspects de la problématique du client, en représentations humaines, autonomes et distinctes du client, et de les projeter à l’extérieur de lui.

Le client peut ensuite dialoguer avec ces “personnages en 3D” afin d’accéder à des prises de conscience, des compréhensions, et de nouvelles perspectives dans la gestion de sa problématique, auxquelles il lui serait difficile d’accéder dans une posture habituelle.

COMMENT FAIRE ÉMERGER DES PERSONNAGES

La technique de la personnification se pratique à travers un questionnement assez simple : Il arrive même que les clients amènent d’eux-mêmes des représentations métaphoriques, ou des archétypes qui symbolisent l’affrontement entre ces différents aspects d’eux-mêmes.

Je vous partage ici, un extrait de séance dans laquelle j’ai utilisé cette approche avec une cliente.

La première étape a consisté à identifier la problématique de la cliente.

CLIENTE
Quand mon amie me demande si elle peut passer à la maison, je lui dis toujours “oui”, même quand j’en ai pas envie. Je lui laisse prendre toute la place, et ça m’étouffe. Jusqu’au moment ou je me n’en peux plus. Alors je coupe les ponts, trouvant toutes sortes d’excuses pour l’éviter.

PRATICIEN
Et comment vous aimeriez que ça se passe, dans cette relation ?

CLIENTE
J’aimerais pouvoir lui dire quand sa présence m’envahit. Mais c’est plus fort que moi, je n’y arrive pas.

PRATICIEN
Il se passerait quoi, si vous le lui disiez ?

CLIENTE
Elle ne va pas bien. J’aurais trop peur de la blesser. Et que cela lui fasse du mal.

Dans cet exemple, la problématique de la cliente s’exprime à travers un conflit intérieur, qui entraine une comportement de fuite, du type :

Je voudrais X (poser une limite / dire stop), mais Y (peur de blesser / laisser l’autre m’envahir) m’en empêche.

Une fois le conflit exposé, il reste maintenant à l’aider à personnifier ces aspects d’elle-même.

PRATICIEN
Ce côté de vous, qui a peur de blesser (votre amie), c’est comme quoi ?  

CLIENTE
C’est comme une fille apeurée

PRATICIEN
Et quel genre de fille est cette fille ?

CLIENTE (temps)
Une petite écolière punie par son instituteur

PRATICIEN
Quand vous dites “punie”, c’est à dire ?

CLIENTE
Genre “ debout dans un coin, face au mur, tête baissée”.

PRATICIEN
Et si elle pouvait être là, avec nous, dans cette pièce, cette écolière punie par son instituteur, qui se tient debout dans un coin, face au mur, tête baissée, elle serait où là, maintenant, dans cette pièce ?

CLIENTE (indiquant la fenêtre)
Ici.

Dans cet échange, j’ai utilisé des questions issues du Clean Language de David Grove  et de la modélisation symbolique (lire l’excellent livre de James Lawley et Penny Tompkins  » « Des métaphores dans la tête »)  pour faire émerger une personnification, d’une des facettes de ma cliente.

Je lui ai ensuite demandé de placer cette représentation dans l’espace du cabinet, pour la faire exister en dehors d’elle.

Il reste maintenant à faire personnifier l’autre partie en conflit.

PRATICIEN
Imaginons maintenant, que cet autre côté de vous, celui qui a besoin de poser une limite quand sa présence vous envahit, (je reprends les gestes de la cliente) puisse, lui aussi, prendre la forme d’un personnage, humain ou non, ou de tout autre chose, avec lequel il serait possible de discuter, quelle forme cela pourrait être ?

CLIENTE
Euh, je sais pas pourquoi, je pense à mon père.

PRATICIEN
Quand vous pensez à votre père, qu’est ce qui vous vient ?  

CLIENTE
Il a l’air sévère, et…. (Surprise de la cliente) on dirait qu’il a une baguette d’instituteur dans les mains. 

PRATICIEN
Et ce père sévère, avec une baguette d’instituteur, si vous imaginez qu’il est là, dans cette pièce avec nous, maintenant, où serait-il dans cette pièce ?

 CLIENTE
Il serait juste là, à mes pieds.  

PRATICIEN (voyant que la cliente regarder vers le bas, étonnée)
Qu’est ce qui se passe ?  

CLIENTE
C’est bizarre, il a l’air tout petit.  

La suite de la séance a alors consisté a créer un dialogue émotionnel à trois. Tantôt ma cliente a pu être l’observatrice d’un dialogue entre la fille punie et le (petit) père à la baguette, et tantôt elle a pu interagir directement avec chacun des personnages, jusqu’à trouver un espace de réconciliation, et réintégrer ces différentes facettes d’elle-même.

Un peu comme si elle arrivait à être à la fois la spectatrice, la scénariste, et l’héroïne de son Histoire.

Nos clients sont des systèmes complexes, à l’intérieur desquels une multitude d’histoires gravitent, contenant chacunes des personnages en interaction.

C’est dans ces mêmes planètes intérieures que viennent puiser les auteurs : en personnifiant différents aspects de leurs problématiques, ils donnent naissance aux personnages de leur récit (héros, alliés, adversaires, guides, etc…), source de leurs histoires.

LA PERSONNIFICATION DANS L’ÉCRITURE

Il nous reste maintenant à voir, comment utiliser le principe de la personnification dans une approche créative.

Ce que j’aime avec les techniques de personnification, c’est qu’on peut les utiliser aussi bien avec des comportements, des émotions, des principes, des objets.

Absolument tout.

J’y consacre tout un module dans ma formation d’écriture créative, tant je trouve cette approche stimulante pour la créativité, et le développement de l’imaginaire. Cela permet d’initier des histoires souvent surprenantes.

Je vous partage ici une méthode d’entraînement à la personnification.

Choisissez un objet. N’importe lequel.

Une lampe, un crayon, une fenêtre, bref, le moindre truc qui vous passe par la tête (sans vous faire mal non plus, hein)

Ensuite posez l’intention de le voir, comme dénué de sa fonction. C’est à dire non plus par rapport à son utilité, mais comme une forme, un agglomérat de molécules qui a une taille, un poids, une texture, et qui n’a aucune autre raison d’être d’exister.

Vous aurez peut-être besoin de toucher l’objet, de le sentir pour apprendre à le regarder d’un oeil neuf.

Demandez-vous maintenant, quand la valeur de cet objet n’est pas dans son utilité, mais dans sa nature même, qu’est ce que vous ressentez par rapport à cet objet ?

Est ce que vous le trouvez esthétique, mystérieux, attirant, repoussant, effrayant, apaisant, doux, joyeux, austère, etc.…

Laissez vos ressentis s’exprimer, même s’ils vous paraissent illogiques, absurdes, ou bizarres. Vous pouvez vous retrouver à ressentir de la tendresse pour un portefeuille usé, de la peur face à une taille crayon, de la sérénité face à une bouteille de plastique.

Une bonne manière de faire du tri dans votre appartement.

Revenons à votre objet.

Une fois que vous avez identifié au moins un ressenti émotionnel, ou sensations face à cet objet, demandez-vous, maintenant

Si cet objet devait prendre une forme humaine, ça ressemblerait à a quoi ?

Et laissez venir ce qui vient, sans jugement.

Ainsi, votre téléphone portable pourrait devenir un vieil homme en fauteuil roulant, votre tasse, une maman qui allaite son enfant, etc….

Voilà, vous venez de faire émerger des personnages.

Il ne vous reste plus qu’à discuter avec eux, découvrir ce qu’ils veulent, quels sont leurs besoins, leurs désirs, et ce qui les empêche de les atteindre.

Et vous voilà partis pour un début d’intrigue.

ET SI LE FLUIDE MAGNÉTIQUE DEVENAIT PERSONNAGE ?

Je me suis amusé à appliquer cette approche de la personnification au concours de nouvelles “Le songe magnétique” proposé par mon ami Ian Vervliet.

Pour rappel, il s’agit d’écrire une nouvelle, sous forme d’uchronie, à partir de la contrainte suivante :

“Comment serait le monde aujourd’hui si le fluide magnétique de Mesmer existait vraiment.”

Vous trouverez toutes les infos sur ce concours: ICI (Vous avez jusqu’à la fin de l’été pour y participer).

Appliquons donc la technique de personnification à cette proposition.

Et si le fluide magnétique de Mesmer pouvait prendre une forme humaine, animale, ou autre, avec laquelle il vous serait possible de discuter, quelle forme cela pourrait être ?

A vous de jouer.

Imaginons, par exemple que le fluide puisse prendre la forme d’un enfant. Une sorte de Pinocchio de chair et d’os, porteur d’une énergie très puissante, mais dénué de conscience, et qui obéisse aux suggestions de son magnétiseur.

On pourrait inventer plein de scenarios à partir de là.

Comme par exemple choisir de raconter l’histoire du point de vue de l’enfant, se demander s’il est conscient, ou non qu’il n’est pas un enfant comme les autres, ou de quelle manière il vit son statut.

Et c’est ici que votre sensibilité, vos gouts personnels, vos désirs, votre créativité, et votre sens de la dramaturgie vont pouvoir s’exprimer.

Personnellement cette hypothèse m’a donné envie d’imaginer l’existence d’une société secrète, créée il y a 200 ans, pour déposséder Mesmer de son fluide magnétique, et faire en sorte que l’humanité ne puisse jamais s’en servir.

Incapables de détruire ce fluide, les membres de cette société ont trouvé comme solution d’emmagasiner ce fluide, dans le plus grand secret, dans le corps d’un enfant dans le coma. Et cet enfant est alors revenu à la vie, après avoir été magnétisé, mais dénué de conscience.

Depuis ce temps, chaque année les membres de la société sélectionnent secrètement un nouvel enfant, pour être le porteur, à son insu, du fluide magnétique. Le fluide est transmis à la nouvelle recrue, lors d’une « cérémonie du passage », dans laquelle, l’enfant précédent, dépossédé du fluide, retombe dans le coma.

La première image qui m’est venue en pensant à cet enfant, et qui pourrait être le point de départ de mon histoire,  est celle d’une une femme, portant un grand chapeau noir, accompagnée d’un garçon de 7 ans, dans un aéroport. Ils sont contrôlés par des douaniers suspicieux qui ne trouvant rien, doivent les laisser partir.

Je ne prendrai pas le temps de développer l’intrigue ici. Notez qu’à ce stade là de l’exploration, je ne connais pas encore le sujet de l’histoire. Je sais juste que j’ai envie de parler de la relation de cette femme (la magnétiseuse) et de cet enfant (l’incarnation du fluide magnétique) dont elle devra bientôt se séparer, et auquel elle est très attachée.

Il s’agit bien sûr d’un exemple, parmi tant d’autres de ce que l’on pourrait faire à partir de cette proposition.
J’espère que cela vous donnera envie d’expérimenter comment cette méthode de personification, va pouvoir vous aider à développer des histoires, ou a accompagner vos clients.

Et pour vous, si ce fluide magnétique pouvait prendre une forme, ça ressemblerait à quoi ?

Et dans quelle direction cela vous donnerait envie d’aller ?

Je suis curieux d’avoir vos réponses.

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