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Qu’est ce qui fait la qualité d’un médecin, d’un thérapeute, d’un accompagnant ?
L’expérience que je vous relate ici m’a marquée à vie, et a sans doute été une des pierres qui m’ont guidées sur la voie de l’accompagnement.
En 2013, ma mère a un cancer de la langue, depuis bientôt deux ans. Résultat : elle a du mal à articuler, et ne peut plus avaler aucun aliment. Elle se nourrit grâce à une sonde gastrique reliée à son estomac, et suit un traitement de chimiothérapie hebdomadaire, assez lourd, pour lequel elle est suivie par le Docteur Scotte.
J’ai annoncé à ma mère que je partais en Égypte prochainement, et je lui ai proposé de venir avec moi. Après m’avoir répondu qu’elle en avait très envie, elle a haussé les épaules.
SIHAM
C’est gentil, Namir. Mais tu sais bien que c’est impossible. C’est beaucoup trop risqué. Et comment je m’alimenterais là-bas ? En plus, avec ma chimio, je ne peux pas m’absenter.
Puis est venu le moment de la consultation avec le docteur Scotte.
DR SCOTTE
Comment allez-vous Siham ?
SIHAM
Je suis fatiguée. Mais, ça va.
NAMIR
Docteur, j’aimerais vous faire part de quelque chose que mère m’a confié, et dont elle n’ose pas vous en parler. Elle aimerait bien retourner en Egypte, dans son village.
Le docteur Scotte s’est tourné vers ma mère
DR SCOTTE
Vous avez envie d’aller en Egypte, Siham ?
SIHAM
Nooon, je disais ça comme ça, c’est… de toute façon, j’ai ma chimio, c’est pas possible
DR SCOTTE
Je vous repose la question, Siham. Oubliez la chimio, est ce que vous aimeriez aller en Égypte ? Est ce que c’est important pour vous ?
Siham l’a regardé, hésitante
SIHAM
J’aimerais bien revoir ma mère. Et mes sœurs. Une d’elles, est malade. Mais, c’est pas possible. Notre village est à 500 km du Caire. Il faudrait au moins deux semaines… ça mettrait le bazar….
Toute ma vie je me souviendrai de ce qui s’est passé ensuite.
DR SCOTTE
Siham, pourquoi est ce que nous vous infligeons un traitement de chimio aussi lourd ? Hein ? C’est désagréable pour vous. C’est du travail pour nous. Et ça coute beaucoup d’argent à la sécurité sociale. Vous savez pourquoi on fait cela ?
SIHAM
Oui, Docteur, pour me soigner je sais.
DR SCOTTE
Si on fait tous ces efforts, c’est dans un seul but : vous faire gagner du temps. Que ce soit une année, un mois, un jour, même une heure, c’est pour cela qu’on se bat. Pour vous offrir du temps pour VIVRE, Siham. Et vivre, ça ne veut pas dire vous retrouver prisonnière de vos traitements, de votre maladie. Mais vous permettre de profiter de ce temps, pour faire ce qui est le plus important pour vous. Alors, si ce qui compte pour vous aujourd’hui, c’est d’aller en Égypte, voir votre mère, votre famille, et bien vous allez écouter votre fils, et partir avec lui.
SIHAM
Et la chimio ?
DR SCOTTE
Elle attendra. Nous interromprons la chimio pendant quelques semaines. Et on verra après. On est là pour s’adapter à vous, Siham. Pas l’inverse. Tout le reste c’est du détail, c’est de l’organisation. Ne vous souciez pas de ça.
SIHAM
Et la nourriture, comment je ferai là-bas ?
DR SCOTTE
Et bien, vous emmènerez des provisions. Il faudra faire attention, avec les microbes et tout le reste. Mais votre fils vient avec vous. On lui montrera comment faire, et tout ira bien. Et si c’est pas le cas, je lui tirerai personnellement les oreilles ! Donc je vous retrouve après votre retour d’Égypte.
Ma mère a souri, soulagée.
Ce jour-là, j’ai vraiment pris conscience qu’aucun traitement ou médicament au monde, n’aurait pu avoir autant d’impact sur ma mère, que les mots prononcés par le docteur Scotte. Savoir écouter, même ce qui se dit au-delà des mots, n’est-ce pas la vocation première du soin, et de tout accompagnement ?
Parfois, nos métiers de l’humain deviennent des routines, dans lesquelles le cœur et l’attention aux besoins de l’autre, se retrouvent relégués à l’arrière plan, faisant des soignants, malgré leur compétence et leur expertise, de froids administrateurs de solutions.
Quelques jours plus tard, nous partions pour l’Égypte. Un des sœurs de ma mère, Feriel, était agonisante. Ma mère espérait arriver à temps pour la voir.
Au moment d’arriver dans le village, nous avons retrouvé Feriel dans son lit, inanimée, avec tous ses enfants à son chevet. Ma mère s’est approchée d’elle, lui a pris la main, et lui a parlé. Fériel, que l’on pensait morte, a eu un soubresaut, et s’est réveillée, à la surprise générale. Quand elle a vu Siham, des larmes ont coulé le long de ses yeux verts, et elle a esquissé un fragile sourire. Quelques minutes après, elle était morte. C’est comme si elle elle avait attendu que sa sœur vienne la saluer pour mourir.
Nous sommes restés quelques jours au village. Tous les habitants qui connaissaient Siham si forte, étaient tristes de la voir affaiblie. Et quel chagrin de ne pouvoir partager un repas avec elle.
J’ai pourtant passé de bons moments avec ma mère, on a beaucoup rigolé. On s’est promenés. Elle m’a raconté des histoires de son enfance. Des choses que je ne connaissais pas sur sa vie.
Et pardessus tout, ma mère a pu dire au revoir son village, embrasser son frère et ses deux autres sœurs, et serrer sa mère adorée une dernière fois dans ses bras. C’est tellement reposant et soulageant de pouvoir dire “bye bye”
Quand ma mère est rentrée en France, à notre stupéfaction, son état de santé s’était amélioré. Elle a revu le Docteur Scotte, qui l’a accompagnée jusqu’à la fin.
Et j’ai pu profiter encore pendant presque deux ans, de ces moments de temps gagné. Jamais nous n’avons été aussi proche que pendant cette période.
Je n’ai qu’un regret avec ma mère. Lorsque sur la toute fin de sa vie, elle était épuisée, à bout, en soins palliatifs, j’ai voulu l’encourager en lui disant :
NAMIR
Courage, maman, ne lâche pas, tu vas y arriver. Bientôt tu assisteras au mariage de tes petits enfants.
Je n’ai pas réalisé à ce moment-là, que, devant son épuisement, et son besoin de baisser les bras, mes mots ne faisaient peut-être que la culpabiliser. Comme j’’aurais aimé savoir lui dire à ce moment là :
NAMIR
Maman, jusqu’au bout, tu as fait au mieux. Tu es une super-héroïne. Alors, maintenant, si jamais tu sens que tu es trop fatiguée, à bout de forces, et que tu te dis que c’est le moment pour toi de lâcher, et de partir, sens-toi libre de le faire. Personne ne t’en voudra. Personne ne te le reprochera. Je t’’aime, quelle que soit ta décision.
Mais que voulez-vous, tout le monde n’est pas comme le Dr Scotte, capable d’entendre ce qui ne se dit au-delà des mots.
Merci, Docteur Scotte, de m’avoir donné la chance de vous rencontrer.
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Namir, j’ai adoré ce texte. Bravo à toi pour l’écriture mais aussi d’avoir permis à ta maman de dire au revoir à son village natal : une véritable preuve d’amour, c’est toi qui lui a proposé avant même que le Dr Scotté lui autorise…
Lors de mon parcours professionnel en tant qu’infirmière, j’ai souvent été confronté à diverses demandes… Ma priorité a toujours été de permettre à l’impossible d’être possible… N’est-ce pas le patient qui sait réellement ce qui est bon pour lui?
Parfois les mots que l’ont prononces ne sont pas le reflet de nos pensées… Votre maman a entendu au delà de vos mots 😉
Merci pour tous vos partages
Bonjour Namir, je suis presque sûre qu’en tant qu’hypno tu as été accueillir ce Namir qui avait peur de la souffrance et de la mort à ce moment-là et qui faisait comme il pouvait pour être là malgré tout ça, c’est déjà beaucoup parfois d’être là avec et malgré tout ce qu’on est.. J’aime beaucoup la posture de Stanislaw Tomkiewicz qui parle d’Attitude Authentiquement Affective aux antipodes de la neutralité, accepter d’être touché, accepter la relation et l’attachement c’est peut-être aussi ce qui permet parfois d’entendre l’autre dans toutes ses dimensions, une de ces dimensions étant: ce que lui/elle nous fait?
Belle journée!
Merci Mélanie. je ne connaissais pas Tomkiewicz.
« Savoir écouter, même ce qui se dit au-delà des mots, n’est-ce pas la vocation première du soin, et de tout accompagnement ? »
C’est un magnifique partage qui me touche beaucoup aujourd’hui. Merci Namir. En lisant tes lignes, elle apparaît quelque part en image dans j’un coin de ma tête.
Le lien de parenté, l’espérance et l’amour, ce lien la, est plus fort que le reste. Pour moi l’écoute du cœur est plus forte dans ces moments là. La distance d’un thérapeute n’est pas celle d’un fils, d’une fille, d’un proche.
J’entends tellement d’Amour derrière tes mots …. É comme la première lettre de mon prénom … écouter
Merci encore pour ce partage 🙏
Merci Élodie.
Je ne sais pas si c’est une question de distance, je dirais plutôt de qualité d’attention.
Mais parfois, être attentif à l’autre, c’est savoir se détacher de ses propres attentes, et projections, une forme de non-attachement, qui rejoint peut-être ce que tu appelles distance.
Je parle du concept même de la distance thérapeutique. Celle telle que décrite dans les livres et formations initiales comme celles des infirmiers, médecins… On l’étudie beaucoup, l’expérimente aussi. En tant que soignant Être proche tout en restant dans l’empathie pour favoriser l’alliance (thérapeutique).
qualité d’attention à l’autre, quand on est parents, fils de, fille de, ou autre, n’est il pas juste être juste tél que l’on est. Laisser venir ce qui vient avec nos propres émotions et projections si il y en a. Peu importe. Est ce important ? Quelque chose qui rejoint l’authenticité d’être même si ce terme est beaucoup trop utilisé ces temps ci. Ce côté « brut » et spontané. Je le met beaucoup en lien avec un véritable Amour je pense quelque part.
Et cette idée d’avoir tous un rôles, une place. Et de ce dire que ce qu’on dit, ce qu’on fait au moment où on le fait est où était à sa juste place.
J’aurai encore bcp à dire sur le sujet. Mes mots sont spontanés posés ici, je ne sais pas si tout ce que je pose en mot est vrai, faux. Partagé ou non. Et peu importe.
Bonne aprem !
Mais c’est quoi l’authenticité ? le côté brut, ça veut dire quoi ?
Dans « être tel que l’on est », il peut aussi y avoir un côté : je me déresponsabilise je suis comme ça, que veux tu, c’est moi.
Meme si je ne suis pas le thérapeute de mes parents ou de mes amis, tout simplement parce que ce n’est pas le cadre, et que surtout il n’y a aucune demande, ma posture de fils, de frère, de mari, d’amant, de frère a beaucoup changé, grâce a ma pratique. J’ai appris a ecouter plus les autres. Et a m’ecouter plus aussi. Etre authentique, pour moi, ca veut pas dire etre « brut », ou « vrai ». C’est avoir cette capacité de savoir pourquoi on dit ce que dit, et pourquoi on fait ce qu’on fait, même quand on ment. Je ne sais pas si j’étais tout à fait authentique avec ma mère ce jour la, quand j’essayais de la motiver pour se battren alors qu’elle agonisait. Peut-être que si j’avais été authentique, j’aurais juste exprimé ma peur à moi, ou ma tristesse qu’elle me quitte.
C’est le degré de conscience et de connaissance de soi qui, pour moi en tout cas, permet de définir l’authenticité. Et ca peut rejoindre je pense (a posteriori) cette notion de distance therapeutique.
Le mot brut n’était sûrement pas adapté. Désolé
J’étais peut-être un peu « brut » dans ma réponse ! je voulais juste te partager mon point de vue…
Ok !