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Mon père était un homme très cultivé, et lisait à peu près tout ce qu’on pouvait trouver comme livres sur l’Égypte.

Avec ses amis, la plupart d’anciens prisonniers politiques égyptiens comme lui, il se réunissait dans notre salon, pour échanger sur la littérature égyptienne, la politique arabe, la cause palestinienne, ou le dernier article de tel chroniqueur égyptien.

C’est comme si malgré leur exil, ils avaient continué à vivre encore en Égypte. Moi, je comprenais rien à leurs échanges, et je me sentais comme un touriste dans ma propre maison.

Un soir, lors d’une discussion un peu plus animée que d’habitude, où les voix ont commence à monter, et les désaccords à s’exprimer, un ami de mon père lui a dit :

Toi, tu ne penses rien par toi-même. Tu ne fais que répéter ce que tu lis dans les livres, sans point de vue personnel. T’es un perroquet.

Cela a du beaucoup blesser mon père. Après ce jour leur relation, vieille de plus de 30 ans, s’est distendue.

Moi aussi, j’ai parfois eu le sentiment que mon père était un perroquet.

Il parlait très peu à la première personne, et se comportait souvent en homme de devoir et de responsabilité, répétant des principes moraux, sans que j’accède à ce qu’il vivait et ressentait intérieurement. Ce qui a rendu notre communication très compliquée. Son érudition m’apparaissait alors comme un paravent pour ne pas exprimer ce qu’il ressentait au fond de lui.

Une fois, on prenait un taxi à Assouan. Le chauffeur espérant gagner un généreux pourboire, s’était mis à faire à mon père un historique très approximatif de la ville. Voyant que mon père ne l’interrompait pas, et sans doute heureux de trouver un auditoire, il a continué sa logorrhée et la discussion a dévié sur les musulmans, et les chrétiens d’Égypte. Pensant sans doute avoir affaire à des musulmans, il s’est alors laissé aller à des propos très clichés, et méprisants sur les coptes.

Ça a commence à bouillir à l’intérieur de moi.

J’avais envie de lui balancer :

“ Ferme ta gueule. On te paye pas pour que tu nous sortes ton blabla raciste. Et puis, juste pour info, on est chrétiens”

Je n’ai rien pu dire. Et j’ai juste contenu ma colère

Etait-ce son assertivité ? Mon manque de courage ?

Comme si je devais fermer ma gueule, parce que j’ étais dans son taxi. Dans SA ville. Qu’il était chez lui. Et que mon père et moi, on était des étrangers. Rien de tout ça, ne devrait justifier que je ferme ma gueule. Pourtant, c’est ce qui s’est passé.

Mais ce qui m’a mis le plus en colère, cela a été la réaction de mon père.

Il a continue a écouter le chauffeur, tout sourire, et acquiesçant à ses propos comme si de rien n’était. Le chauffeur, s’imaginant sans doute que mon père était d’accord avec lui, était trop fier de continuer à faire son show.

J’ai donné un coup de coude à mon père.

“Papa, pourquoi tu ne dis rien ? “

Il a pas répondu.

A la fin de la course, mon père en payant le taxi lui a donné un montant supérieur à celui affiché au compteur.

Le chauffeur au lieu de son contenter de cela, flairant le potentiel, a continué son show, pour réclamer davantage.

Quand j’ai vu mon père sortir un autre billet, j’ai explosé

“Mais Papa, c’est une blague ? Déjà, tu lui donnes plus que le montant de la course. Il se permet de réclamer, et toi tu rajoutes ! T’as entendu tout ce qu’il a raconté ? C’est hors de question que tu lui donnes ça !”

Le chauffeur nous a regardé nous engueuler mon père  et moi, sans rien dire,  avant de repartir avec son généreux pourboire, qui avait sans doute pour lui plus d’intérêt que mon mépris.

“nan, mais t’as entendu ce qu’il disait sur nous ? pourquoi tu l’as laissé parler comme ça sans réagir ? ”

et la réponse de mon père a été

“Maa lesch…  »
(c’est pas grave)”

Comme si lui, était au dessus de tout ça. J’en ai beaucoup voulu a mon pere ce jour la. J’ai eu honte. Honte qu’il n’ait pas eu le courage de se defendre. De nous defendre. A nouveau, il s’était mis a faire le perroquet.

Un perroquet dissimulé sous des dehors de philosophe.

j’avais beau faire des reproches à mon père, contre son manqué de courage, sa peur de la confrontation, au fond, je m’en voulais de ressentir la même chose : ce sentiment d’impuissance face à ma peur d’affirmer mon point de vue quand il risque de déplaire à autrui. Moins par peur de blesser que par crainte d’être rejeté.

Les chiens ne font pas de chats.

Et les perroquets non plus.

J’avais beau avoir quarante ans, j’étais encore un enfant sage et lisse, qui se conformait à des injonctions de politesse. J’avais appris à ne pas faire de vagues, et à me comporter comme un enfant adapté, capable de se conformer au contexte pour gagner le respect et l’admiration de ses maîtres et professeurs.

C’était probablement le coût de notre intégration dans une France où nous n’étions pas bienvenus, et où pour trouver notre place, il ne fallait surtout pas faire de bruit.

J’avais faites miennes les injonctions de mon père.

Et meme a plus de quarante ans, derrière mon masque de faux rebelle, provocateur, libre indépendant, se cachait sournoisement… un perroquet.

Un jour, peut-être, j’arriverai à libérer cet animal-là de sa cage.

J’apprendrai a exprimer mes besoins, à poser mes limites, et à ouvrir mon bec, même dans les taxis.

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