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Hier, pour écrire mon texte sur « Le tueur » où je me suis mis dans la peau d’un tueur en série, j’ai regardé « Les femmes et l’assassin » un documentaire de Mona Achache sur Guy Georges, le  « tueur de l’est parisien ».

A son procès, plusieurs des familles des victimes répétaient en boucle : c’est un monstre.

Bah non. C’est un homme.

Comme la quasi-totalité des tueurs en série le sont. Ce sont des hommes. Même si je doute que les femmes soient moins violentes que les hommes, dans le domaine de la violence physique et des crimes, elles sont les agressées. Pas les agresseuses.

C’est cela qui est terrifiant : Gilles de Rais, Émile Louis, Marc Dutrou, Michel Fourniret, et aux états-unis, Samuel Little, Lawrence Bittaker ou Edmund Kumper sont des hommes. Des psychopathes, certes. Mais des hommes.

Ils sont les produits de notre société.

Lorsque j’entends des gens ordinaires, souvent de bons parents respectables avoir des réactions, du style :

 – Salaud, barbare ! On devrait l’empaler vivant, ce porc, ce tueur d’enfants. Et lui faire bouffer ses couilles, et ceci, et cela….

Je m’interroge : qui sommes nous pour décréter que tel homme est un monstre, un barbare, un animal, bref qu’il n’est pas humain ?

Ce mécanisme-là, qui consiste à nier à l’autre le statut d’humain, est souvent un excellent désinhibiteur pour laisser émerger nos pulsions, et devenir un exutoire à notre propre violence.

Et c’est peut-être là, où il est, le monstre. Tapi dans notre cage intérieure, celle du déni. La violence est, je crois en chacun de nous. Elle peut-être endormie, contenue, ou apprivoisée. Dans certains contextes elle est autorisée à s’exprimer.

 

 

La nature ne nous demande pas de consentement pour exprimer sa violence. Elle ne connait pas la morale, ni le bien, ni le mal. Les cyclones, les épidémies, les éruptions volcaniques qui engloutissent des civilisations ne sont ni bons ni mauvais. Pas plus que les mygales, serpents ou scorpions quand ils tuent leurs proies, même si c’est un jeune enfant endormi. Ils ne sont bons ou mauvais.

Et on le sait. Je n’ai pas vu d’humains organiser des manifestations contre les épidémies, en disant :

– On est contre, à bas la peste, à bas les épidémies, c’est pas juste, supprimez !

Ils apprennent juste à s’en protéger. La vie ne porte pas de jugement moral sur la violence. Elle teste des combinaisons. Certaines sont viables , d’autres moins. Les dinosaures n’étaient plus fonctionnels face au changement brutal du climat, et des météorites. Ils ont été anéantis.

Mais pas la violence.

Même si je suis horrifié par les crimes des tueurs en série, et que c’est une facette de l’humain qui me terrorise, je ne me dis pas  » ces gens-là sont des monstres », mais plutôt,  » Est-ce que j’aurais pu devenir comme eux, si j’avais vécu et subi le même contexte de violence familiale, et d’abandon ? »

Et au fond, qu’est ce qui aurait fait la différence entre eux et moi dans ce contexte là ?

Quel terreau y a-t-il donc en chacun de nous pour laisser pousser aussi facilement les germes de la violence ?

Dans un documentaire passionnant de Patrick Rotman, sur la banalisation de la torture pendant la guerre d’Algérie, intitulé « l’ennemi intime », un militaire catholique et pacifiste raconte comment il a torturé et humilié un algérien sous le regard de la fille de ce dernier. Et comment, à ce moment-là, ni son éducation, ni son éthique, ni sa culture, ni ses principes moraux  élevés, n’ont été d’un quelconque secours, ni même un rempart pour lutter contre sa propre violence, dans ce contexte où la torture avait était banalisée, autorisée et même légitimée par le système.

Il finit par confesser, avec une honte infinie, que dans ce déferlement de barbarie, il a ressenti du plaisir. Avant de finir par cette conclusion glaçante

– N’importe qui, mis dans cette situation, serait capable de faire la même chose…. Vraiment.
Sauf à avoir une force de caractère exceptionnelle.

C’est une des raisons pour lesquelles, dans ma formation d’écriture j’ai développé un module qui s’appelle « le connard intérieur ».

Je suis persuadé que tant que tu n’as pas exploré tes parts d’ombres, ta face cachée, tes facettes inavouées, alors tu ne te connais pas.

Il n’y a qu’à voir comment réagissent certains couples qui se sont aimés pendant des années, au moment d’un divorce ou d’une séparation pour se rendre compte à quel point, dans un contexte de peur, de colère, d’insécurité, ou de trahison, il ne faut pas grand chose à la violence pour surgir.

Ma mère m’a raconté qu’un jour, je devais avoir quatre ou cinq ans, je regardais un film à ses côtés. Et soudain, sans un mot, et sans quelle comprenne pourquoi, je l’ai giflée. Peut-être que ce que j’avais vu dans le film sans doute, m’avait paru insupportable, et j’ai déchargé cela sur ma mère. J’en sais rien. Je n’en ai aucun souvenir.

Depuis l’enfance, j’ai été conditionné par l’éducation de mes parents à éviter les conflits.

– On est des immigrés, on n’est pas chez nous ici. Alors, il ne faut pas se faire remarquer. Il faut t’intégrer pour réussir. Surtout, ne pas faire de vagues.

Et, malgré mes phases de rébellion, en bon enfant adapté, j’ai obéi. Aujourd’hui encore, j’évite les conflits, et surtout, j’ai peur de la violence.

Il y a quelques années, un ami m’a poussé à me confronter à ma peur. Alors je suis allé m’inscrire à un cours de boxe thaï. J’en ai fait pendant un an. J’ai réalisé à quel point j’avais peur de donner des coups.

Après en avoir reçu un certain nombre, cette peur s’est atténuée, et ma colère s’est rapidement exprimée. Il a fallu peu de temps pour qu’elle se transforme en violence aveugle. Sauf que j’ai constaté qu’elle ne m’était d’aucune utilité, et ne m’empêchait pas de recevoir des coups, bien au contraire, tant que je n’apprenais pas à la canaliser.

Je ne sais pas si un monde sans violence pourrait exister, ni même s’il serait viable, voire souhaitable.

La réalité c’est qu’elle est là, présente.

Souvent après les grandes catastrophes naturelles, un phénomène étrange se produit. L’humanité se réveille soudain dans un grand élan de générosité, et de solidarité avec les victimes. Elle se soude.

Peut-être que dans notre société, en devenant des exutoires à notre violence personnelle, les tueurs en série ont peut être une fonction, celle de transgresser les plus grands interdits moraux, pour tester les limites de notre civilisation, et la forcer à mieux se souder autour de valeurs communes.

Dans le documentaire sur Guy Georges, le passage qui m’a le plus bouleversé, c’est la réaction de la mère d’une des victimes de Guy Georges. Sa fille avait été assassinée par le tueur.

Pendant tout le procès, elle l’avait qualifié de monstre implacable, parce qu’il refusait d’avouer ses crimes. Et le dernier jour, quand, suite à une simple question, Guy Georges, qui jusque là avait été dans le déni, a fini par reconnaitre un à un tous les assassinats qu’il avait commis, à un moment où plus personne dans l’audience n’y croyait, il y a eu un silence de mort dans la salle.

Et cette mère de famille, brisant alors le silence, a alors laissé échappé ce mot, adressée à l’assassin de sa fille  

– Merci.

Alors, peut-être que le meilleur rempart contre la violence serait de la reconnaitre, là où elle est, en chacun de nous, de l’apprivoiser, en apprenant à nous connaitre davantage, et à lui trouver un espace où elle puisse s’exprimer, d’une manière qui ne nie pas à l’autre le droit d’exister, ou de le considérer comme un monstre.

A chacun de nous de trouver comment.

 

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3 réponses
  1. Valérie
    Valérie dit :

    J’entends souvent les humains dire d’un criminel qu’il est un animal. Mais les animaux ne font pas ça. S’ils tuent, c’est pour manger, à part certains chiens dressés pour agresser, qui de ce fait portent des traits spécifiquement humains.
    Le crime est une spécificité de l’espèce humaine. C’est encore une question de dualité et de polarité. Le pire suppose le meilleur, et réciproquement. On ne peut pas connaître l’amour le plus pur sans avoir en soi la pire des violences.

    Répondre
    • Namir
      Namir dit :

      Je ne sais pas si « On ne peut pas connaître l’amour le plus pur sans avoir en soi la pire des violences ».
      Et je ne sais pas non plus si les animaux tuent uniquement pour manger. J’imagine qu’ils tuent probablement aussi pour se defendre, assurer leur securité, protéger leur territoire, ou par peur aussi ?
      Vaste question que celle de la violence, et de son origine…

      Répondre
      • Valérie
        Valérie dit :

        Oui, c’est vrai, c’était un peu court le « ils ne tuent que pour manger » :)… Pour se défendre aussi, évidemment.
        Mais tout ça, ce ne sont que des croyances, des idées un peu vagues, des sortes de convictions basées sur pas grand chose.
        Par contre, je crois beaucoup plus fermement aux polarités à l’intérieur de soi. Je crois qu’on s’ouvre à l’amour d’autant plus puissamment qu’on a traversé la pire des douleurs. Traversé. Pas évité.

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