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A l’heure où je termine l’écriture de “la vie après Siham”, le scénario de mon deuxième long-métrage (après 3 ans d’écriture, et plus d’une quinzaine de versions), j’ai à nouveau envie de te parler de cinéma, et de la raison pour laquelle je suis tombé amoureux de cet art que j’ai  découvert vers mes 17 ans.

Tout d’abord, et je ne crois pas que ce soit un un hasard le cinéma est né muet. Comme les nourrissons, qui viennent au monde sans avoir l’usage de la parole, mais qui ont plein d’autres moyens de communiquer. Alors les premiers cinéastes ont du inventer un langage qui ne passe pas par les mots. En art, et comme dans la vie souvent, ce sont ces contraintes qui font émerger les plus belles expressions du génie humain.

 

 

Le langage du cinéma muet ne repose pas que sur les images. La vraie révolution cinématographique de ce cinéma des premiers temps, c’est celle du montage, c’est à dire comment la juxtaposition de plusieurs plans peut recréer l’illusion du temps et de l’espace, et devenir une brique fondamentale de la construction du récit.

Le montage permet les ellipses, les associations d’idées, et nous aide aussi à appréhender la réalité différemment, en nous proposant plusieurs points de vues dans une même scène.

Pour moi, cela ressemble étrangement à ce que nous vivons. Dans nos rêves, nous passons parfois d’un endroit à un autre, en une fraction de secondes, nous associons entre eux des éléments qui n’ont rien à voir. Et dans nos vies, ne sommes nous pas simultanéments ici et ailleurs, comme dans un montage parallèle ?

Finalement le langage du cinéma est peut-être aussi la langue maternelle de notre cerveau, de nos rêves, et de notre vie.

C’est peut-être pour cela qu’il m’a autant parlé, lorsque je l’ai découvert. 

Le cinéma muet a produit des chefs-d’œuvre. Les russes, comme Dziga Vertov ou Eisenstein, génies du montage dynamique, ont composé des symphonies visuelles, pendant qu’ailleurs en Europe, Epstein, Lang, Stiller, Sjostrom développaient une vision esthétique du cinéma, travaillant la lumiere, le clair obscur, la perspective et la composition de leurs plans.

Et les américains eux, plus pragmatiques, ont mis tous leurs talents au service de l’émotion et de l’efficacité narrative. Jouant avec les attentes du spectateur, et cultivant l’humour, l’attirance, et le désir, au service de la dramaturgie.

Les 3 dernières années du cinéma muet, entre 1927 et 1930 nous ont offert une quantité impressionnante de chefs-d’œuvre.

Et puis, soudain le Verbe est arrive. Et la parole fut. Ce fut d’abord une période de grosse régression artistique. Un peu comme lorsque les enfants découvrent l’écriture, et que leur dessins perdent soudain de leur foisonnante créativité. Désormais, la priorité n’était plus au rythme, au montage, mais au dialogue. Certains génies du cinéma muet, qu’ils soient acteurs, et cinéastes n’y ont pas survécu. Comme Griffith, Stroheim, ou encore Buster Keaton. D’autres, au contraire, ont su s’adapter à ce nouveau langage, et ont vu leurs talents se déployer davantage comme Renoir, Ford ou Lubitsch.

J’ai été fasciné par la découverte du cinéma muet. Ces vieux films étaient pour moi des ovnis. J’allais à la cinémathèque, pour voir des œuvres hypnotiques venues d’un autre temps, dont les acteurs et les auteurs étaient pour moi d’illustres inconnus (alors qu’ils avaient été des vedettes internationales à leur époque).

Ces gens étaient tous morts (et je crois que cela n’était pas du tout anodin dans ma fascination, j’en parle dans cet article intitulé « où vont-ils donc ? »). J’allais à la cinémathèque, et je me délectais de tomber presque chaque soir sur des chefs-d’œuvres.

Forcément. Le temps a fait son tri, et la cinémathèque est devenue le musée des meilleurs films du passé.

Ces films étaient totalement déconnectés de ma réalité quotidienne. C’était comme un monde parallèle de fantômes inconnus qui surgissaient tous les soirs. Cette distance temporelle entre ces films et moi, m’a permis de les voir pour ce qu’ils étaient, en dehors de la dimension commerciale qu’ils ont pu représenter à leur sortie.

Ça tombait bien, parce que pour moi, à 17 ans, je ne voyais le cinéma que comme un divertissement sans profondeur, fait par des vedettes capricieuses, que l’on regardait en mangeant du popcorn. Et j’ai découvert qu’il était un art à part entière avec son propre langage.

Un langage dans lequel les choses ne sont pas dites, et qui peut se passer des mots pour exprimer l’essentiel.

Une part de moi s’y est reconnue.

L’enfant tumultueux que j’étais, traversé par des émotions très fortes, et incapable de mettre des mots dessus y a trouvé un refuge.

L’adolescent timide, incapable d’exprimer son désir devant les filles qui l’attiraient, y a peut-être trouvé un espoir.

Les scénaristes disent souvent

“Show don’t tell”

Au cinéma, on ne dit pas les choses, on les montre.La force du cinéma pour moi est ailleurs. Non pas dans le fait de montrer, mais dans le fait de savoir suggérer, et de manière très indirecte.

Prenons un exemple simple, qui peut te paraitre évident, mais qui montre pour moi, toute la puissance du cinéma.

Plan 1 :
un homme, derrière sa fenêtre, regarde vers le bas, à travers une paire de jumelles.

Plan 2 :
Vue depuis la fenêtre, donc en plongée, une femme debout à un arrêt de bus, réajuste ses bas. Le plan est assez serré, et se focalise sur ses mains qui remontent ses bas jusqu’à ses cuisses

Ces deux plans pris séparément ne signifient pas grand chose de plus que ce que l’on y voit : un homme regarde au dehors. Une femme fait une action ordinaire. Mais l’assemblage de ces deux images, fait naitre un sens nouveau : ici, ce qui relie ces deux plans, c’est le désir de l’homme.

La nature du deuxième plan devient alors l’expression du regard subjectif de l’homme aux jumelles .

On pourrait même se demander si en inversant ces deux plans, et en commençant par le plan de la femme qui réajuste ces bas, l’effet et le message seraient les mêmes.

Voila où se situe la magie du cinéma, pour moi : le message du désir (ici celui de l’homme aux jumelles) y est suggéré.

Il y a peut-être meme une autre suggestion, plus indirecte encore, exprimée à travers ces deux plans. Le désir de l’homme au jumelles est peut-être une métaphore, ou un miroir de notre propre désir de spectateur.

Ce que je n’ose pas faire dans la vie, je peux le faire à travers cet homme. Ce n’est pas moi, la personne respectable, qui regarde la femme, c’est lui. Je ne suis donc pas coupable de la regarder.

Voila ce que pour l’adolescent que j’étais, le cinéma a inventé : la permission de regarder nos propres désirs sans honte, ni culpabilité.

La possibilité de nous identifier à tous types de personnages, et de pouvoir vivre, grâce et à travers eux, nos désirs et nos émotions, mêmes les plus enfouies et inavouées.

Je m’y suis reconnu, et j’ai eu envie d’apprendre cette langue là.

Sans parler d’une autre dimension du cinéma. Plus mystérieuse encore, et qui m’a guidée dans l’écriture de mon scénario. Celle de capter les âmes des vivants. J’ai évoqué ce rapport à la mort et aux fantômes dans cet article.

Je reviendrai probablement dessus, tant le sujet me parait important.

 

 

 

 

 

 

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