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Ça fait bientôt 3 mois que j’ai commencé ce blog. Demain, j’aurais écrit 80 articles. Et pas encore trouvé mon second souffle.Juste le sentiment laborieux de me répéter par moments, et à d’autres de me forcer a écrire alors que je n’en ressens pas forcément l’envie.

Je pourrais tout à fait arrêter ce blog.

Alors, qu’est ce qui fait que je continue ?

Hmm… peut-être parce que je cherche encore pour qui j’écris.

Et c’est peut-être une des raisons de mon essoufflement. Je ne le sais toujours pas.

Dans mon blog, j’ai parlé d’écriture, de création et de mon lien avec le cinéma (à un moment ou finissais justement mon scenario de film) et cela a donné des articles comme ressusciter les morts.

Hier à travers l’égyptien libéré, en plus du décalage entre l’orient et l’occident, j’ai parlé à travers l’histoire d’Ayman, du langage, de la nécessité de nommer les choses que l’on vit : c’est d’ailleurs ce que j’essaye de faire avec ce blog, exprimer une parole libre, vraie, authentique et personnelle, dépasser ma propre peur et honte à exposer mes désirs, et ma vulnérabilité, pour accéder à une plus grand acceptation de qui je suis, et sans doute, je l’espère, t’aider à t’accepter, par la même occasion.

 Cette liberté a aussi ses limites. Il y a aussi des sujets que je ne peux pas aborder sans conséquences : comme ma séparation par exemple, car elle n’implique pas que moi. Et ma femme redoute que ce que j’écrive ait des conséquences négatives sur la vie de nos enfants.

On ne peut pas tout écrire dans un blog, sans conséquences.

D’autres sujets encore sur ma famille, mes origines, ma relation à mon père, au deuil de ma mère, et au sens de la vie, ont été abordés.

Ces articles concernent des questions que je me pose. Et qui me composent. Mais comment toi, lecteur tu peux y trouver une unité ?

Si tu vas dans un restaurant indien, c’est pas pour manger des hamburgers. Soit il faut que le restaurant changer de menu et cesse de proposer des hamburgers, soit il change de nom, et ne s’appelle plus restaurant indien.

Un des articles qui m’a valu le plus d’abonnements à mon blog concerne l’hypnose  ( tuer l’enfant intérieur). Mais comment ont réagi ces abonnés, en découvrant, quelques jours plus tard, un article sur mon rapport à la sexualité ?

Sans doute le même effet que de voir arriver des pizzas et des hamburgers dans un restaurant indien.

Ils ont du se demander : mais de quoi parle ce blog ?

Et se désabonner

Qui trop embrasse, peu étreint.

Mais voilà. Je ne sais toujours pas pour qui j’écris.

Je devrais dire pour qui j’ai envie d’écrire ?

Je suis allé au cinéma récemment voir un film qui s’appelle “la conspiration du Caire” (Boy from heaven, en anglais). L’histoire se passe en Égypte, et raconte les tentatives du gouvernement du président Sissi d’imposer un directeur à sa botte à la plus grande université islamique d’Égypte, et probablement du monde arabe : celle d’Al-Azhar.

Le film est allé à Cannes, et connait actuellement un succès international. Oui, mais voila : il ne sortira jamais en Égypte. L’auteur n’a même pas eu les autorisations de tourner là-bas, et a du voler quelques plans en cachette, et reconstituer la ville du Caire, et l’université Al Azhar, dans un autre pays arabe.

Mais pour qui est ce film ? A quel public s’adresse-t-il donc ?

En allant le voir, la réponse m’est apparue clairement. Il ne s’adresse PAS au public égyptien, car le film ne sortira jamais en Égypte.

Un ami égyptien qui est venu voir le film en est d’ailleurs ressorti gêné. Il ne se reconnaissait pas du tout dans ce film. Trop de détails, et de réactions des personnages ne correspondaient pas du tout à la mentalité et la réalité égyptienne. Et ça doit pas être très agréable de voir un film qui parle de toi, mais qui est truffé d’imprécisions, d’erreurs, et d’inexactitudes.

Oui. Mais le film ne s’adresse pas aux égyptiens, mais probablement au public occidental. Pour qui il peut avoir le parfum exotique de l’orientalisme, et qui en même temps, donne à l’occident ce quil a envie de voir, et lui dire ce qu’il a envie d’entendre

 

La question que je me pose à propos de mon blog, se retrouve aussi dans mon travail de cinéaste. Sauf que pour mon film, l’enjeu est plus important, et je vais devoir décider assez vite à qui mon film s’adresse. Et cela pour une raison simple : je n’ai pas le choix.

 

Mon film se tourne en Égypte. Et si la censure égyptienne, à qui je dois présenter mon scenario, trouve dans mon texte des dialogues qui évoquent de près ou de loin l’armée, la religion, l’homosexualité, la révolution, la torture ou les droits de l’homme, alors le film ne sera tout simplement jamais diffusé en Égypte

C’est évidemment difficile pour moi de devoir renoncer, même à quelques répliques de mon scenario, pour qu’il soit visible par un public. Cela m’oblige à me demander : est ce qu’il est important pour moi que mon film soit vu en Égypte ? Ai je envie qu’il s’adresse au public égyptien ?

Ce qui m’attriste le plus c’est que le cinéma ne puisse pas être le miroir de la société qu’il raconte, et qu’un pays ne puisse pas s’approprier sa propre histoire.

La révolution égyptienne de 2011 a été gommée des livres d’histoires. Le mot est devenu tabou. La répression qui a suivie a anéanti tout espoir de libération de la parole. Et un des blogueurs emblématiques de cette période, Alaa Abdel Fattah, est en train de mourir ces jours-ci dans une prison égyptienne, après une grève de la faim de plus de 80 jours.

En 2018, le rockeur égyptien Ramy Essam, exilé en Suède depuis 2014, a composé une chanson, Balaha, dans laquelle il se moque ouvertement du président Sissi. Le clip a été tourné en Égypte. Ramy après le tournage est retourné en suède. Mais Shady Habbash, le jeune réalisateur du clip lui n’avait pas d’autre nationalité que la nationalité égyptienne. Après avoir passé deux ans dans la terrible prison de Tora, il y est mort le 1er mai 2020, âgé de 25 ans.

Le message est clair.

Voila ce qu’avait écrit Shady dans une lettre à Ramy Essam, avant sa mort

Résister en prison signifie perdre la tête ou mourir lentement, parce que vous avez été jeté dans une cellule il y a deux ans, oublié, sans savoir ni quand ni comment vous en sortirez.

J’ai besoin de votre soutien, et j’ai besoin que vous leur rappeliez que je suis toujours en prison, que je meurs lentement parce que je sais que je suis seul. Je sais que beaucoup d’amis qui m’aiment ont peur d’écrire à mon sujet, pensant que je serai libéré de toute façon sans leur soutien.

Ramy Essam n’est pas responsable de la mort de Shady. Shady avait bien sur décidé de réaliser ce clip. Mais en tant qu’auteur et réalisateur de mon film, dans quelle mesure je ne suis pas tout de même responsable de ce que je fais dire a mes acteurs égyptiens ?

Une de mes amies a quitté la banlieue parisienne, il y a quelques années pour s’installer, avec son compagnon et ses deux enfants dans une jolie maison à la Rochelle. Je lui ai demandé comment ils avaient réussi à trouver leur maison.

Elle m’a répondu qu’ils avaient d’abord commencés par se fixer sur une ville, et que depuis qu’ils avaient décidé que ce serait la Rochelle, et renoncé à toute autre possibilité, des dizaines d’opportunités de maisons se sont présentées a eux. Et le choix a été simple.

Moi, ça fait des années que j’ai envie de déménager. Sauf que j’attends toujours de trouver la bonne maison, la bonne opportunité pour me décider à choisir la ville dans laquelle j’aurais envie d’emménager.

Résultat, je suis toujours au même endroit.

Il n’y a pas de bonne maison.

Il y a la où on choisit d’habiter.

Et c’est pareil pour le public auquel tu t’adresses.

Peut-être que c’est une erreur d’attendre de trouver ton public. Et que c’est juste une question de choix.

Un choix que je n’arrive pas encore à faire.

Décider pour qui t’écris.

Et toi, alors, ils sont pour qui, tes cris ?

 

 

 

 

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5 réponses
  1. nathalie
    nathalie dit :

    Imaginons un peu : les histoires des blogs seraient des petits cailloux blancs semés dans une immense forêt, pleine de promeneurs.
    Certains les ramassent, les si beaux petits cailloux, les mettent dans leur poche et les gardent précieusement, certains te les montrent, les cailloux qu’ils ont ramassés, d’autres les gardent rien que pour eux, c’est leur secret. D’autres passent leur chemin sans même les remarquer. Certains les regardent avec curiosité, et continuent leur route, d’autres se disent qu’ils reviendront, que les petits cailloux les aideront à ne pas se perdre. Il y en a qui n’aiment pas les cailloux, qui donnent des coups de pieds dedans. Il y a ceux qui aiment bien les cailloux, mais pas les blancs. Il y en a qui sont choqués de voir des cailloux blancs posés n’importe comment dans l’allée bien propre et bien goudronnée, et qui les dégagent très vite. Il y en a qui les piétinent et les enfouissent dans la boue. Il y en a, ça dépend des jours, ça dépend s’ils ont le temps, ça dépend de leur humeur, ça dépend s’ils ont déjà beaucoup marché, s’ils ont soif ou s’ils ont mal aux pieds. Il y en a qui ont peur qu’ils roulent sous leurs pieds et les fassent tomber. Il y en a qui …
    Sait-on jamais, au fond, qui les croise nos petits cailloux ? Et quelles conséquences cela aura pour eux ?
    C’est une vraie question. Une responsabilité et un engagement. Où mettre le curseur quand on quitte le confort de la maison et qu’on s’en décide de se montrer ?
    Merci Namir.

    Répondre
  2. François
    François dit :

    Salut Namir, je ne partage pas ta critique de la conspiration du Caire. Ce n’est pas parce que ce film est censuré en Égypte, qu’il n’a pas pu, pour les mêmes raisons, être tourné en Égypte, qu’il ne s’adresse pas aux Égyptiens. J’en connais plein qui l’ont adoré. Et beaucoup de choses ne sont pas du tout compréhensibles par ceux qui ne connaissent pas l’Egypte. La critique de l’orientalisme me semble facile…

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    • Namir
      Namir dit :

      Merci François pour ton partage.
      Par plein d’aspects je trouve le film captivant, en particulier d’un point de vue dramaturgique, même si je me je suis un peu ennuyé en termes de rythme, et j’ai aussi trouvé le jeu des acteurs un peu forcé.
      Je ne connais pas ce réalisateur, et par conséquent j’ignore ses intentions.
      Peut-être que le mot orientalisme n’est pas approprié. Mais disons que pour moi, ce n’est pas un film qui parle de la société égyptienne. c’est un film qui prend la société égyptienne comme décor pour raconter une fable sur le pouvoir.
      En soi, pourquoi pas.
      Mais a plusieurs reprises, le metteur en scène insiste lourdement sur le portrait du président Sissi, et là, ca me dérange, parce que j’y vois alors une sorte de film à charge. Et c’est dans ces plans la que je me demande pour qui le réalisateur fait ces plans la : et la seule réponse que j’ai trouvée, (à part si c’est pour satisfaire son égo personnel, et se faire plaisir) c’est pour les occidentaux. Alors bien sur, cela peut faire plaisir aux égyptiens anti-Sissi. Pour moi, ça ne fait pas avancer la situation. Ca ne fait pas réfléchir les égyptiens sur leur propre relation au pouvoir et à l’autorité, sur leur manière de composer, et de trouver un équilibre entre l’affirmation de l’individualité, et l’appartenance à un collectif très fort.

      Mais plus grave encore, à cause de ce film, les égyptiens vont se retrouver avec encore plus de difficultés à tourner en Egypte, la censure va probablement devenir encore plus vigilante, à cause des plans que ce realisateur a probablement volés, tourné sans autorisation. Alors, sans doute que c’est sympa pour son film, mais je trouve ça vraiment pas cool, si on pense un peu en dehors de son intérêt personnel.

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      • François
        François dit :

        Merci pour ta réponse Namir (que je n’ai pas reçue par e-mail), que je ne lis que maintenant. Cette critique pourrait s’appliquer à l’immeuble Yacoubian, à quelques films de Chahine et Nassrallah aussi. J’ai cru à ce jeune pêcheur, comme a beaucoup de Taaleb qui l’entourent. La société d’Al Azhar est un secret pour tous, un monastère, une ville dans la ville.
        J’espère bientôt en discuter avec toi.

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        • Namir
          Namir dit :

          Hello François.
          Avec plaisir pour échanger. Pour le mail, je n’arrive pas à activer l’option pour que mes réponses arrivent par mail. Je cherche encore….

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