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Avec mon premier long-métrage, j’ai vécu une expérience incroyable. Après l’avoir terminé, présenté en festivals, observé l’accueil du public et ressenti quelques longueurs lors de la projection, je me suis offert ce luxe ( j’étais aussi producteur de mon film) de retourner à la salle de montage, et de raccourcir certaines séquences pour avoir une meilleure version.

Je suis ressorti satisfait de mon travail. Jusqu’à la projection suivante.

On peut toujours améliorer un travail créatif, l’affiner, l’ajuster. Mais quand est ce qu’on sait qu’un film est réellement fini ?

 

 

En ce moment, avec ma scénariste, nous écrivons un  film. J’y raconte, sous forme d’autofiction, le long cheminement par lequel je suis passé après la mort de ma mère. Le processus d’écriture de ce nouveau film a été très thérapeutique, et m’a beaucoup fait évoluer sur le deuil de ma mère, mais aussi sur ma relation à l’Egypte, et sur mon rapport au cinéma (j’en parle dans cet article).

A tel point, que je me sens éloigné aujourd’hui de la personne que j’étais, il y a 3 ans, lorsqu’avec ma scénariste, nous avions commencé l’écriture de ce scénario. C’est d’ailleurs une des grosses difficultés que nous avons dans cette écriture : décider à quel moment se termine l’histoire que nous racontons, quand la réalité qui l’inspire elle, ne s’arrête pas. Si bien qu’à chaque fois que je passais un cap dans ma vie personnelle, j’avais envie de modifier le scénario pour l’intégrer dans l’histoire du film. Bref, l’écriture de ce film a commencé à ressembler à un processus sans fin, qui nous a conduit à un gros moment de crise.

Alors, comment savoir où arrêter l’écriture du scénario ?

Flashback.

Je suis à New-York. Après une énième projection de mon premier film, qui a déjà été remonté trois fois. Et là, devant certaines réactions du public, j’ai un flash : le sentiment de longueur que j’ai ressenti au milieu du film vient du fait, que le début est trop dynamique  : ce n’est pas le milieu qu’il faut raccourcir, mais le début, qu’il faut rallonger.  Je téléphone à mon monteur, enthousiaste,  pour lui annoncer ma solution ultime. J’exulte. Cette fois, j’en suis sûr, nous tenons la version définitive du film.

Il a soupiré. Et il y a eu un long silence au téléphone.

Et là, j’ai compris qu’il était temps pour moi d’arrêter.

Mon film était fini.

Pas parce qu’il était abouti ou réussi. Mais parce que je choisissais de le lâcher, et d’accepter qu’il n’était pas parfait, que certaines projections du film seraient un triomphe. D’autres des fours. Et que cela désormais, ne m’appartenait plus.

J’ai repensé à toute cette aventure, ces cinq années de travail acharné, avec les doutes, les peurs, les joies et les surprises, et je me suis demandé :

« Est ce que je suis fier de moi ?
Est ce que j’ai fait du mieux que j’ai pu ? »

Dans mon cœur, j’ai entendu un grand « Oui’

Alors, j’avais le droit de me reposer, et de laisser le film vivre sa vie, indépendamment de moi. Je lui avais donné le jour. Maintenant, il n’avait plus besoin de moi pour grandir.

Dans la vie, plein de choses s’achèvent sur lesquelles nous n’avons pas le contrôle. Mais quand on est créateur, et qu’on est maître de son travail, c’est vraiment difficile de décider qu’une œuvre est finie. Surtout quand on l’a portée pendant des années. Parce que derrière la notion de finir, peuvent se cacher des tas de peurs, qui n’ont rien à voir avec l’oeuvre elle-même. La peur du vide. La peur de l’échec. Du jugement. Mais aussi la peur de ne pas être à la hauteur du succès, de ne plus savoir quoi faire après, ou encore la peur de l’abandon.

J’ai mis du temps à réaliser que derrière mon désir de perfectionnisme sans fin, se cachait l’angoisse de terminer mon projet, de lui dire au revoir, de l’abandonner en quelque sorte. Comme si je ne pouvais pas exister, en dehors de mon travail, sans le risque de me retrouver  tout seul, sans rien.

Avec ma scénariste, lorsque nous avons traversé cette crise, elle m’a posé une question simple. 

– Namir, nous avons commencé l’écriture ensemble il y a 3 ans, et tu avais certains désirs. Aujourd’hui tu as évolué, et tu n’as plus les même désirs. Alors, dans ton film,  est ce que tu veux raconter l’histoire du Namir d’il y a 3 ans, ou celle du Namir d’aujourd’hui ?

Parfois, il n’y a pas de fin à un film. Juste une décision à prendre. Comme celle d’aller au bout de quelque chose, même imparfait, plutôt que de ne jamais terminer un truc potentiellement parfait. 

Aussi étrange que cela puisse paraître, un film, une œuvre d’art, est un objet vivant. Il pousse, il grandit, il évolue. Quand j’ai revu mon premier film, dix ans après sa sortie en salles,  j’ai été surpris d’y découvrir un message que je n’avais pas compris à l’époque. Il me révélait des choses sur moi que je n’avais pas vues.

Et c’est peut-être à cela que servent les œuvres : Dans leur forme finie, dans leur aspect figé et immuable, ils deviennent des miroirs de notre évolution. Ce ne sont plus seulement les fruits de notre création, ce sont aussi nos guides et nos meilleurs enseignants. Apprenons à les écouter, à leur faire confiance, et à ne pas leur imposer notre désir de les contrôler. 

Souhaitons bonne vie à nos œuvres, et continuons paisiblement notre mission : d’autres œuvres nous attendent . 

tu peux

 

 

 

 

 

 

 

 

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