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Aout 1941. Mes grands parents maternels préparent leur mariage dans le village de Om Doma, en Égypte.
Là-bas, les mariages arrangés sont coutume.
Ma grand-mère, Victoria, n’est absolument pas consentante pour épouser Saïd.
Elle en fait part au prêtre, qui l’écoute attentivement. Puis précipite la cérémonie pour ne pas donner à ma grande-mère l’occasion de fuir le village pour éviter le mariage.
Said est le fils d’Oweda, le Omdeh (maire) du village d’Om Doma. Mais autant Oweda, mon arrière grand-père est influent et respecté, autant son fils, Saïd, est impulsif, illettré et peu sociable.
C’est sans doute pour calmer sa fougue, et ses ardeurs de chien fou, qu’Oweda lui a trouvé une épouse docile.
De ce mariage non consenti naitront 5 enfants, conçus dans la violence et la brutalité.
Dont ma mère, qui verra le jour le 1er Avril 1944.
Dans la maison familiale, ma mère, encore enfant au milieu des annees 50, dormait par terre, avec son frère, et ses sœurs, aux cotés de ses parents.
Parfois, elle était brusquement réveillée en plein milieu de la nuit, par des pluies de coups de bâtons.
C’était son père, Saïd, tellement en colère que Victoria se soit encore refusée à ses assauts, qu’il la battait, et n’hésitait pas à taper sur tout ce qui trainait autour de lui.
A commencer par ses enfants.
Ma mère n’a jamais aimé son père. Et s’est sentie très tôt la mission de protéger sa maman, a qui elle reprochait en même temps, énormément sa tolérance à la douleur, et son absence de révolte.
Alors, ma mère a décidé de porter cette colère que sa mère n’exprimait pas. Une colère contre cet homme qu’elle a vu trop de fois frapper et abuser de son épouse, colère qui s’est ensuite généralisée à tous les hommes désirants. Et qui a entraîné chez ma mère un dégout de la sexualité.
Devenue adulte, elle a eu beaucoup de prétendants au mariage, et les a tous repoussés. A 29 ans, elle a fini par accepter la demande de mon père. Peut-être pour céder à la pression sociale. Peut-être pour éviter de finir vieille fille. Ou pour d’autres raisons. Je ne saurai jamais.
Quand j’étais enfant, tous les étés, je me rendais au village, souvent sans mes parents.
Mon grand-père Saïd m’accueillait en souriant. Et chaque fois que je repartais, il fondait en larmes, comme un bébé, triste de me voir partir.
Je l’aimais bien. C’était un homme simple, un peu soupe au lait à qui j’adorais faire des blagues. Comme lui piquer son bonnet pendant son sommeil, et repeindre son crane chauve d’un mélange de talc et de farine.
Ou encore lui mettre cinq cuillères de sel dans son thé pour le plaisir de le voir cracher, hurler et maudire la terre entière.
Il était sans doute trop vieux pour me courir après.
Il m’a jamais fait peur mon grand-père. Je me sentais même proche de lui. Je le voyais comme un enfant illettré, mal-aimé, que ses parents n’avaient jamais valorisé, et qui préférait la présence des bêtes à celles des humains.
J’ignorais pourquoi ma mère le méprisait autant Ce n’est qu’après sa mort, en 1998, que ma mère m’a raconté son histoire.
Pour elle, Saïd n’était même pas un homme.
Au mieux un simple d’esprit, au pire un animal.
Je crois bien que cette phrase « même pas un homme » est restée gravée dans mon esprit, et a du constituer un frein puissant, lorsque j’ai senti les premiers élans puissants du désir irriguer mon bas-ventre.
Je n’étais pas sur de vouloir devenir un homme, si le coût était de perdre l’amour de ma mère.
Et puis, comment comprendre ce désir naissant, qui se manifestait si peu chez mes parents. Mon père, intellectuel concentré sur son travail, semblait tellement au dessus des besoins physiques et matériels, que j’avais l’impression que mes premiers troubles érotiques faisaient de moi quelqu’un de pervers, et d’anormal.
J’ai vainement lutté contre mes désirs, et ma sexualité. Et plus j’essayais de les réprimer, plus ils devenaient une obsession honteuse, que je vivais en secret.
Aujourd’hui encore, je ne suis pas au clair avec mes désirs, ayant encore du mal à distinguer entre l’agressivité liée à la honte et au rejet de ma sexualité, et l’agressivité comme expression de l’énergie et du désir de vie
La sexualité n’était pas la bienvenue dans notre famille.
Je me souviens encore du jour où ma sœur, revenant de colonie de vacances, est allée discrètement planquer son linge sale dans le bac. Ma mère, apercevant une culotte tachée de sang a eu un soupir de désespoir.
– Ça y est, tu les as eues ?
Ma sœur honteuse a acquiescé
– Oh la la, , ça y est, les problèmes vont commencer.
Un de mes amis m’a raconté l’histoire d’un père qui un jour, lorsqu’il a appris que sa fille avait eu ses règles, l’avait invitée au restaurant, pour célébrer l’entrée dans le monde de la féminité.
Oh, comme j’aurais trouvé cela beau, un rituel comme ça, pour célébrer, l’entrée dans le monde des jeunes hommes.
Que mon père, ou mieux encore, ma mère me dise :
– Bravo mon fils, tu viens de réaliser ta première branlette, tu as réussi à éjaculer sur le polochon, allez, viens on va fêter ça.
Un jour, lors d’une séance d’étiotherapie, la thérapeute, a qui je n’avais rien raconté de notre histoire familiale, m’avait dit cette phrase étrange :
– Namir, tu n’est pas ton grand-père. Il est temps que tu te détaches de lui. Arrête de chercher à la protéger.
Je n’avais alors pas compris grand-chose à ses propos. Ce n’est que récemment que j’ai perçu à quel point Saïd avait eu une influence sur la vie de ma mère et sur la ma manière dont je suis devenu homme.
En écrivant ces lignes, je réalise en frissonnant, que Saïd, c’est aussi le deuxième prénom que j’ai donné à mon fils.
Certains disent que nous venons sur terre pour réparer les fautes de nos ancêtres.
Alors, chère maman, ne m’en veux pas trop de divulguer cette histoire, toi qui m’avais fait promettre de la garder secrète.
Je resterai ton fils désobéissant.
Je crois qu’écrire est peut-être mon moyen de libérer nos fantômes pour les aider à retrouver leur places parmi les esprits, pour que nous et nos enfants puissions enfin retrouver notre place parmi les hommes et les femmes
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Merci Namir pour tes écrits sensibles, et particulièrement celui-ci, si intime. Ça me donne envie de
me faire toute petite pour que tu continues à parler sans te savoir écouté 🙂