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J’ai une théorie. Et elle est simple : On ne sait parler que de nous.

Parler de soi, ça ne veut pas seulement dire raconter ta vie. Je veux dire que tu le fais tout le temps : quand tu inventes des histoires, quand tu poses des questions pour comprendre autrui, quand tu contemples silencieusement la nature, ou même quand tu relates, en bon historien, la défaite de Samothrace. Tu parles de toi, chaque fois que tu exprimes, consciemment ou pas, ta manière de percevoir le monde

Par exemple, hier, mon pote Nader, me voyant frissonner, me demande

NADER
T’as froid. Tu veux que j’allume le chauffage ?

NAMIR
Non, non te t’inquiètes pas. Ça va aller.

NADER
Je ne m’inquiète pas. Je prête juste attention a toi.

NAMIR
Bah si, tu t’inquiètes.

Nader n’a pas cherché à me contredire. Ce n’est que plus tard dans la soirée, en repensant à cet échange, que je me suis senti un peu con. Nader ne s’inquiétait pas pour moi. Il me faisait confiance, et se souciait juste de mon bien-être.
Mais moi, j’étais incapable de faire la distinction entre  « prendre soin de quelqu’un », et « s’inquiéter pour lui ».

En lui disant « ne t’inquiètes pas », c’était juste moi qui, inquiet, projetais mes  inquiétudes et ma confusion sur lui.

Le monde n’est souvent que la surface sur laquelle tu projettes qui tu es, à travers tes peurs, tes désirs, ta vision, tes obsessions.

Imagine, un miroir fait de verre bleu : tout ce qu’il reflètera sera teinté de bleu. Le miroir pensera que le monde est bleu. Il ne peut pas se rendre compte que c’est lui qui le teinte ainsi, puisque la seule chose qu’il ne peut pas réfléchir, c’est son propre reflet.

Souvent je me demande si nous pouvons sortir de ces projections.

On peut bien sur s’entrainer à l’empathie, à essayer de comprendre les autres, à entrer dans leur monde, à développer des relations intimes avec les gens et être curieux de savoir comment ils fonctionnent, et percevoir leurs projections. Cela  élargira peut-être notre champ de vision, et nous aidera aussi à percevoir les nôtres.

Mais je crois que toute notre vie, nous resterons à la même fenêtre.

Dans mon blog, par exemple, je publie parfois des mini-fictions, écrites en une dizaine de minutes. En relisant l’une d’elles, j’ai réalisé à quel point j’y parlais de choses très personnelles, sans en avoir eu conscience. Je croyais que le seul moyen de me faire entendre, en étant vrai et juste, c’était de me raconter à la premier personne.

Mais parfois, il y a des choses que l’autobiographie ne permet pas. Pour des tas de raisons. Parce qu’elle met en jeu d’autres personnes, ou qu’elle peut avoir des conséquences réelles et concrète, sur la sécurité ou le bien-être de quelqu’un.

La fiction te permet de décrire plus justement une vérité que t’as du mal à voir sur toi même. L’espace de la fiction te donne la permission de ne plus contrôler ce que tu veux dire de toi, où la manière dont les autres pourraient te percevoir, pour enfin réussir à t’abandonner vraiment.

Comme il fait peur ce mot : s’abandonner.

Y en a qui lui préfèrent « lâcher prise ».

Oui, lâcher prise sur le cordon ombilical dont tu crois que ta vie dépend. Mais il est déjà mort, le cordon, petit. Tu peux toujours essayer de t’y accrocher, il n’y a plus rien de vivant, au bout.

Dans la fiction, tu peux t’autoriser à te projeter pleinement dans la peau d’autrui. Un autrui qui ne sera sans doute qu’une autre facette de toi, à la manière du Mme Bovary de Flaubert.

Peut-être que le but de la fiction après tout, c’est juste de réussir à te rencontrer, en disparaissant, en te projetant dans tes projections. Un autre moyen de percevoir ton reflet dans le miroir de la réalité.

A ton avis, à quoi ressemblerait le monde, si tu pouvais le voir sans rien projeter sur lui ?

Il serait  sans doute vertigineux. N’est ce pas cela que l’on appelle science-fiction ?

Alors, tu as beau te cacher, comme tu veux, choisir les costumes qui t’arrangent, ceux de la fiction,  de l’autobiographie, de l’imaginaire,  de la poésie, du journalisme, de l’objectivité scientifique ou de la rigueur historique, c’est bien toi que nous voyons à travers ce que tu exprimes.
Et tu es libre de résister à tout ce que tu viens de lire ici, en n’étant pas d’accord avec moi, y a rien de grave.

On t’aime comme tu es. Avec tes filtres, et tes projections.

Et on fera semblant de pas savoir que la seule chose que tu sais faire : c’est de parler de toi.

Mais peut-être que tout cela, ce ne sont que mes projections. Et t’es pas tenu d’être d’accord avec moi.

 

 

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2 réponses
  1. Nouria
    Nouria dit :

    Selon l’enseignement du maître Soufi Hazrat Inayat Khan , le but de la Création est que Dieu puisse se voir lui-même dans son accomplissement.
    Il est dit que le monde fût créé à partir de l’obscurité .Cette obscurité , les mystiques l’ ont appelé la Conscience éternelle : cet état parfaitement tranquille dans lequel la Conscience n’est même pas consciente de son existence. C’est ce qu’on veut dire par le mot obscurité : « l’arrière-plan de l’univers, et le commencement et la fin de tout . »
    Passant par les quatre stades de l’Absolu, la Conscience devient de plus en plus consciente. D’abord elle devient consciente de son existence, mais sans avoir connaissance de ce que c’est : « tout comme un miroir, avant que quelque chose n’y soit reflété, est seulement un espace ».
    Puis elle désire observer, être consciente de quelque chose, aimer. Ainsi crée-t-elle toutes formes, choses et êtres jusqu’à la création de l’être humain idéal, qui reconnaît son existence immortelle. Alors « le Connaissant devient connu de Lui-Même, et en cela le but de la vie est accompli ».
    Nous voilà donc dans ce monde, petits humains, passant notre existence à tenter de nous souvenir qui nous sommes.
    Nous ne sommes qu’un corps et qu’un seul être .
    Et chaque chose, chaque situation , chaque être vivant que nous rencontrons sur notre chemin est là pour nous le remémorer.
    Et comme nous communiquons tous sans cesse nos pensées, nos sentiments, nos impressions, l’Univers est un « Aina-Khana », comme l’ont dit les anciens Soufis, un « Palais des Miroirs » .

    Tout ce que je vois de toi et du monde me permet de me voir et de me reconnaître, et ainsi, si mon cœur est suffisamment ouvert et le miroir suffisamment propre, alors je peux voir Dieu en toute chose et donc en moi.
    Toutes les pratiques et tous les exercices spirituels ne visent qu’à faciliter cette réalisation.

    Selon ce point de vue, on peut donc se dire que toutes les personnes, situations, expériences que je rencontre sont là pour me permettre de voir et de reconnaître une nouvelle facette de moi, et donc du divin en moi.

    Alors oui pour en revenir à ton texte, on ne parle jamais que de soi.
    Mais soi,c’est moi, c’est l’autre, c’est Dieu.

    Je trouve ça très très beau.

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