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Les thérapeutes sont des gens comme les autres. Ils font pipi, caca, prennent des douches et ont aussi des problèmes. Et ils vont même voir des thérapeutes pour essayer d’aller mieux.

Le contraire serait inquiétant, non ?

T’imagine acheter ta viande chez un boucher vegan, toi ?

Ah, bah non, je suis con, t’es peut-être vegan toi aussi. 

Si les clients croient que leurs thérapeutes, leurs superviseurs, ou leurs enseignants sont des gens géniaux, c’est un peu leur problème. Je veux dire par là, qu’ils projettent souvent sur ces derniers leurs problématiques de perfection, d’idéalisation. Ils configurent leurs thérapeutes, ou leurs formateurs en quelque sorte. Et ces derniers, se laissent configurer, parfois sans s’en rendre compte. C’est à se demander qui est l’hypnotiseur, et qui est l’hypnotisé.

Et en tant que thérapeutes, ou formateurs, on finit par jouer un jeu qui nourrit le problème de nos clients. Alors, s’ils continuent à croire que leurs thérapeutes, ou leurs formateurs sont des gens extraordinaires, c’est peut-être aussi NOTRE problème.

Un jour, une de mes collègues en cabinet a été prise d’un malaise devant une cliente très chic. Elle a essayé de continuer la séance, malgré son malaise, et a fini par vomir partout dans le cabinet. C’est sa cliente qui a du appeler les urgences.

Trois semaines plus tard, la cliente (appelons la Antoinette ) revient, toute discrète, pour une nouvelle séance avec ma collègue, (appelons la Mercedes, pour que tout roule mieux) qui était sacrément mal à l’aise.

ANTOINETTE
Vous savez, notre séance de la dernière fois…

MERCEDES
Mmh, oui, oui je me souviens

ANTOINETTE
Et ben… je ne sais pas comment vous dire mais….. j’étais venue vous voir parce que vous m’aviez été recommandée par des gens très compétents….

MERCEDES (ne sachant plus où se garer)
Ah…

ANTOINETTE
Pour être tout à fait franche, et au risque de vous heurter….. et bien, cette séance m’a fait…. beaucoup de bien !

MERCEDES
De me voir vomir, me ridiculiser, et m’écrouler comme une… passez moi l’expression…. comme une m… ?

ANTOINETTE
J’étais venue à cause de conflits avec mes collègues. J’ai toujours besoin de tout contrôler. Et j’ai besoin de lâcher prise. Alors, quand je vous ai vu…. comment dire… tout lâcher…. Je me suis dit qu’en fait, même à vous, ça pouvait arriver….

La cliente et la thérapeute ont ri.

MERCEDES (ne perdant pas le nord)
Mince, j’aurais du vous faire payer la séance alors !

Vous savez comment on fait pour reconnaitre le client du thérapeute, en séance ?
C’est simple : l
e client, c’est celui qui paye.

Nos clients ont les mêmes problèmes que nous. Ou plutôt nous avons les mêmes problèmes qu’eux. Nous bataillons avec le contrôle et l’abandon, l’impuissance et la toute puissance, la clarté et la confusion, la construction et la destruction, le désir et la frustration, la compétence et l’incompétence, la réussite et l’échec.

Quand, dans notre langage verbal, nous suggérons à nos clients de s’accepter tels qu’ils sont, alors que nous  ne n’acceptons pas nous même, ni nos zones floues, on envoie à nos clients deux suggestions paradoxales. Et souvent, cela finit par créer de la confusion.

On pourrait imaginer alors qu’une posture juste, serait d’assumer d’être parfait ET imparfait. Clair ET confus. Parfois perdu et démuni. Et parfois perspicace et pédagogue. C’est peut-être cette permission d’exposer notre dualité qui est thérapeutique pour nos clients, ou nos stagiaires.

C’est un vrai enjeu pédagogique de ne pas se faire hypnotiser par les attentes de nos clients, ou de nos stagiaires, lorsqu’ils nous renvoient une image sacrément flatteuse.

Si on n’y fait pas attention, cela crée des enjeux de pression, des deux côtés. Pour nous, qui nous forçons à nous conformer à cette image.  Et chez eux,  cela peut aboutir parfois avec des stagiaires qui ressortent de leur cursus, paniqués en se disant  » Je ne serai jamais au niveau de mon formateur, je suis illégitime », et qui se mettent à enchainer d’autres formations, par peur de se lancer.

Quel thérapeute aimerait que son client devienne dépendant de lui ?

Et bien, parfois, c’est ce que nous faisons.

Donc comment faire pour trouver une position juste ?

Certes, développer notre expertise est essentiel. Nous remettre en question, pratiquer, travailler sur soi et gagner en expérience nous aide à évoluer.

Mais se sentir légitime, c’est peut-être aussi savoir reconnaitre avec humilité nos propres limites, et les assumer en séance.

J’avoue que cela a été un chemin difficile pour moi de me retrouver en séance, devant un client, et d’accepter de ne pas savoir quoi dire. Et de le lui exprimer

NAMIR
Vous m’avez donné beaucoup d’informations…. Et là, je me sens un peu confus… je vais prendre quelques instants pour intégrer ce que vous m’avez dit… et revenir vers vous, quand j’y verrais plus clair.

C’est pas tant de le dire qui est difficile. Mais de le faire. La première fois que j’ai voulu expérimenter cette posture, j’ai tenu 10 secondes. A la fin, j’étais toujours aussi confus. Je n’y voyais rien. La clarté devait être coincée dans les embouteillages.

Sauf que 10 secondes d’attente, c’est long. Ça laisse le temps à la panique, à l’impatience, et à la peur, de se réveiller en sursaut ! Ce fut plus fort que moi, j’ai repris la parole, et par la même occasion le rôle du thérapeute qui fait semblant de comprendre son client et de savoir où il va.

Bah voila, j’ai pas réussi a incarner ce que je voulais être.

Je suis allé voir mon thérapeute pour lui demander de l’aide.

NAMIR
Alors, pendant ce silence, c’était comme un océan agité dans ma tête… il était vert, mais y avait des canaris fumés qui dansaient dans mon coeur, et …. Vous voyez ce que je veux dire ?

THÉRAPEUTE
Non, je comprends pas grand-chose. Mais c’est pas grave. Je vous écoute.

NAMIR
Comment ça vous me comprenez pas ? C’est important ce que je vous dis.

THÉRAPEUTE
Vous savez si je devais essayer de comprendre tous mes clients, je deviendrai aussi tordu qu’eux. Et puis honnêtement, c’est beaucoup plus relaxant d’écouter.

NAMIR
Donc, en gros, je vous paye pour faire le paresseux ?

THÉRAPEUTE (riant)
Ce qui m’importe, Namir c’est  surtout de savoir ce qui se passe pour vous, là, quand vous me dites ça?

NAMIR
Euh… que c’est important pour moi de me sentir compris

THÉRAPEUTE
J’entends que c’est important. Et dans votre corps là, il se passe quoi  quand vous vous sentez pas compris ?

NAMIR
Hein ? Dans mon quoi ?

Notre travail est allé toucher une peur de la confusion, qui avait des racines profondes dans mon histoire personnelle.

Avec mes clients, j’ai continué à tester cette posture. Chaque seconde gagnée dans le silence et l’acceptation de la perdition face à mes clients, était vécue comme une petite victoire. Cela m’a permis progressivement de gagner en confiance en moi, et d’apprendre à laisser ma confusion s’exprimer.

Une fois, je suis resté comme ça pendant presque deux minutes, à essayer de retrouver de la clarté dans mon esprit,  face à la confusion que mon client apportait  et qui créait de la confusion chez moi aussi). je cherchais à faire le lien entre les différents sujets que mon client m’apportait.

Rien ne venait. L’angoisse que ce silence dure trop longtemps est venue. Je l’ai accueillie, et j’ai laissé durer. Et c’est finalement mon client qui a interrompu le silence.

CLIENT
Vous savez, Namir, je crois que dans tout ce que j’ai évoqué avec vous, ça parle de la même chose : je crois que j’ai du mal à accepter la frustration….

Vous savez comment on reconnait le client du thérapeute ?
Nan, je l’ai déjà fait celle là.

Ça recadre pas mal, quand tu comprends que c’est peut-être quand tu laisses l’espace à tes imperfections, enfin, à  ton authenticité, que le client trouve lui aussi l’espace de ses solutions.
Et c’est beaucoup plus reposant.

Certains stagiaires s’étonnent parfois en formation quand je leur réponds  “Je  ne sais pas ». Ils s’imaginent que c’est stratégique. Ben non, c’est juste que je sais vraiment pas.

Alors, si toi aussi, tu te sens limité dans ton métier par ton besoin de montrer que tu maitrises tout, et que tu te mets trop de pression, demande-toi comment tu peux t’entrainer tous les jours à être à l’aise avec ce que, pour l’instant, tu n’oses pas montrer de toi : la perte de contrôle, l’impuissance, l’échec, la confusion, et tout ce qui fait inévitablement partie de chacun de nous.

Trouve-toi un espace, individuel ou collectif, dans lequel tu es suffisamment en  sécurité pour t’exposer, et t’habituer à ce qui est inconfortable pour toi. C’est un point sur lequel j’insiste beaucoup dans mes stages d’écriture, parce que je trouve que l’écriture créative est un des outils qui ouvre le mieux cet espace.

Avec de la patience, tu trouveras comment être plus authentique et plus vrai.
Et aussi plus inspirant .

 


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13 réponses
  1. Patricia
    Patricia dit :

    Concernant le regard, une réponse faite par le chanteur Dave, à un journaliste qui lui demandait comment il voulait qu’on se souvienne de lui, m’a profondément touchée.
    Il a répondu « je ne suis pas un escargot, je n’ai pas besoin de laisser une trace de mon passage sur terre ».

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    • Namir
      Namir dit :

      Peut-être parce que c’est quelque chose qu’on a plutot tendance à mettre de coté lorsqu’on est accompagnant, cette idée que l’on devrait etre a l’ecoute de l’autre. La nuance c’est que cela ne doit pas se faire au detriment de l’ecoute de soi meme. on a besoin des deux.Ca vaudrait le coup que tu développes ce qui te fait bugger.

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  2. Elodie
    Elodie dit :

    Hello ! Elle est pas évidente cette position. Maîtriser tout, je n’ai pas cette prétention là ici, et bien heureusement. être à l’aise avec ce que pour l’instant l’on ne montre pas de soi ? Ça me parait si lunaire d’imaginer ça en tant que thérapeute. Samedi j’ai annulé mes séances prévues, j’étais pas dispo pour les autres, noyée dans mes larmes et ma colère … ça n’arrive « jamais » ! … ici ça a fait réagir mes clients, qui étaient très déçus et me l’on fait savoir ! Je n’ai pas dit la raison de l’annulation. Dois je réellement le faire ? J’imagine déjà le message : Votre thérapeute est actuellement sous l’eau, et se noie dans ses larmes, il reviendra quand la tempête sera passée ! Merci de votre compréhension.
    Mettre en avant cette vulnérabilité la ?
    Est ce dont cela dont tu parles, Namir ?
    Ou je suis totalement à côté de la plaque ?
    Belle journée

    Répondre
    • Namir
      Namir dit :

      Merci pour ta precision.
      Je ne parle pas de ramener tes problèmes en seance, même si cela peut aussi presenter un intérêt dans la construction de la relation. Et je pense meme que parfois, strategiquement cela peut aussi avoir un autre intérêt.
      J’évoquais plutot d’ecouter ce que ca te fait quand tu ecoutes ton client. Par exemple, quand tu es perdue à vouloir comprendre ton client, ou que tu es bouleversée par l’histoire de vie de ton client, et que tu n’arrives plus à avoir le recul necessaire, et d’autoriser cela chez toi au moment ou ca arrive. Est ce plus clair ?

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  3. Emmanuel
    Emmanuel dit :

    +1 avec tout ce que tu écris.
    Je vais partager ton texte étant moi même thérapeute.
    Un tout petit bémol inspiré par un ami qui m’a dit récemment :
    « Certaines personnes ont besoin d’être inspirants. On n’est pas obligé d’être inspirant »
    Ça m’a bien fait réfléchir…

    Répondre
    • Namir
      Namir dit :

      Merci Emmanuel pour ton commentaire.
      euh… tu touches un point sur lequel je n’ai pas de recul, là.
      J’aurais eu tendance à te dire : bah, si évidemment que tout le monde a ENVIE d’être inspirant.
      Mais, sans doute que non, peut etre que certains s’en foutent en effet. Ils ne ressentent pas ce BESOIN là.
      Et ca m’amene a me poser la question : peut on aimer transmettre, et etre dans le desir de transmettre et partager SANS vouloir être inspirant ?
      A creuser. Toutes réflexions bienvenues…

      Répondre
      • Valérie
        Valérie dit :

        Moi je dirais, comme ça, on peut aimer transmettre sans vouloir être inspirant, pourvu d’être dépourvu d’ego (ego au sens Eckart Tolle).
        Si l’on s’entend sur ce qu’est « vouloir être inspirant »… pour moi, c’est lié au besoin de reconnaissance et au désir d’immortalité. Je voudrais que cet élève s’inspire de moi parce qu’alors je pourrai continuer de vivre à travers lui, quoi qu’il arrive. Il n’oubliera jamais mon prénom 😉
        Et puis la reconnaissance, être inspirant, être un modèle, être admiré… l’ego adore.
        Et puis transmettre.
        Transmettre, c’est donner quelque chose qui nous a été donné. La question devient, est-il possible de passer le relais sans rien attendre en retour ?
        Ce qui m’amène à conclure : ne peut-on pas être réellement inspirant QUE dans la mesure où l’on se fiche d’être inspirant ?

        Répondre
        • Namir
          Namir dit :

          Etre inspirant, sans passer par vouloir etre inspirant, en quelque sorte. Vaste programme.
          J’en suis pas la. Le désir d’immortalité, ou plutot la peur de ma mortalité, ça, ça me parle bien.

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      • Emmanuel
        Emmanuel dit :

        La question que tu poses est très inspirante !😂

        D’ailleurs d’une manière générale j’ai remarqué que les questions m’inspirent plus que les réponses…

        Pour les réflexions,
        Peut être commencer pa questionner:
        Besoin ?
        Nécessité ?
        Desir ?
        Obligation ?
        Et, évidemment, Inspiration ?

        J’ai pas plus de recul que toi sur ces questions ! 😂

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