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« Namir en lisant ton article ce matin, je me demande quel rôle jouent ces objets ayant appartenu à nos parents. Sont-ils importants, sont-ils des bouts d’eux, ou pas ? Je ne sais pas. »

« Cela fait 15 ans maintenant que j’essaye de décrocher les tableaux de mon père. C’est tellement difficile de m’avouer que je ne les aime pas.
Je confonds « je t’aime Papa » avec «Je n’aime pas tout ce que tu as produit ».

« Sympa ton article . Mais ne crois-tu pas que ça fait partie de l’acceptation que de laisser les émotions te traverser un minimum avant de décider quoi en faire ? »

THÉRAPEUTE
Pourquoi vouloir éviter la tristesse ? Vous parlez de votre père qui est en maison de retraite. De votre mère, décédée. De l’appartement vide. Et vous balayez la tristesse d’un revers de main…

NAMIR
Mais pas du tout, je parle des bibelots dans la maison, qui sont inutiles et déprimants, et qui prennent de la place pour rien.

THÉRAPEUTE
Et dont vous voulez vous débarrasser?

NAMIR
Bah, oui.

THÉRAPEUTE
Et vous ne sentez pas qu’il y a comme un évitement de la tristesse là-dedans ?

NAMIR
Mais pas du tout, c’est juste qu’ils sont glauques, ces objets.

THÉRAPEUTE
Pourtant vous êtes triste de les jeter…

NAMIR
Au contraire, je suis pressé, justement. J’ai fait mon deuil, je veux passer à la suite.

THÉRAPEUTE
Alors pourquoi vous avez parlé de tristesse ?

NAMIR
Mais j’ai pas parlé de tristesse

THÉRAPEUTE
C’est  la première chose que vous avez évoquée : vous étiez en train de jeter ces bibelots, et la tristesse est arrivée

NAMIR
Ah… ça

THÉRAPEUTE
Oui, ça

NAMIR
Mais c’est pas vraiment la même tristesse en fait… la je parlais plus de mon côté nostalgique….

THÉRAPEUTE
Et pourquoi vous ne l’accueillez pas ? Là, vous le balayez comme si c’était pas important ?

NAMIR
Ok. Je vois ou vous voulez en venir. Vous penser que c’est du déni ?

THÉRAPEUTE
Ça pourrait y ressembler. Ça pourrait me donner l’impression que vous voulez aller trop vite. Forcer quelque chose : vite, je jette les bibelots de mes parents, comme ça, je me dis que j’ai fait le deuil. Mais c’est pas comme ça, que ça marche. Et puis, ils ne sont pas à vous ces objets, ils sont à vos parents

NAMIR
Mais ils ne sont plus là. Ça ne leur appartient plus

THÉRAPEUTE
Votre père, il les a gardé ces bibelots.

NAMIR
Bah, non, il s’en fout, il est en maison de retraite. C’est juste qu’il les a pas jetés. Il le dit lui même.

THÉRAPEUTE
Oui, et en ne les jetant pas, il a choisi de les garder. Et puis il y a ce qu’on dit, et ce qu’on vit, Namir. Vous êtes bien placé pour le savoir

NAMIR
J’en peux plus de ces objets ! Qu’est ce qu’elle ma soulé ma mère, avec ces trucs.

THÉRAPEUTE
Tiens, il y a de la colère maintenant…

NAMIR
Oui, elle conservait tout. Un jour, pendant qu’elle était en vacances, j’ai voulu faire du tri dans l’appartement. J’ai balancé de vieilles enceintes déglinguées qui prenait beaucoup de place inutilement, et qui ne servaient plus depuis dix ans. Quand ma mère est revenue, elle a pété les plombs, et voulait presque me déshériter. Des trucs qui ne servaient a rien ! Moi, ça me rendait fou.
Alors quand je vois ces dessous de plats chinois qui encombrent les placards, j’ai qu’une envie : les balancer

THÉRAPEUTE
Ça pourrait presque faire un film à la Woody Allen.
Vous voyez qu’ils ont une histoire, ces objets

NAMIR
Mais je vais quand même pas les garder à vie ! y a bien un moment ou faut décider de les balancer non ? vous suggérez quoi ?

THÉRAPEUTE
Peut-être juste que vous preniez le temps de les écouter, de les regarder attentivement, et de voir ce qu’ils ont à vous dire. Avant de décider de les jeter. Ou pas.

 

J’ai passé toute ma séance à chercher a convaincre mon thérapeute que j’avais fait le deuil. Que j’avais des outils super puissants pour le dépasser. Et que j’allais très bien. Il m’écoutait imperturbable. 40 minutes plus tard, je m’effondrai en larmes.

Ma mère, mon père, l’appartement, l’amour, la relation…

THÉRAPEUTE
Je crois que c’est important de dire bienvenue a tout cela. Et d’entendre, que vous n’avez peut-être pas tout à fait, fini le deuil de vos parents. On va s’arrêter la pour aujourd’hui ?

NAMIR
C’est déjà fini ???Mais on vient juste de commencer…

THÉRAPEUTE
Et on reprendra la prochaine fois. On n’est pas pressés.

 

 

 

 

 

 

 



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3 réponses
  1. Valérie
    Valérie dit :

    Je comprends mal cette notion de « faire son deuil ». Cette injonction à guérir de la perte.
    Moi je trouve naturel d’être triste, presque 10 ans après sa mort, quand je pense à ma fille. Parce que je l’aime et qu’elle n’est plus là. Et toujours je l’aimerai, et jamais elle ne reviendra. Alors je suis triste quand je pense à elle, elle me manque et je me fous de passer ce cap qui serait « faire mon deuil ».
    Ce n’est pas une page qui se tourne.
    Toutes ces histoires de lien qu’on coupe, c’est des conneries. On laisse partir, oui, mais on continue d’aimer. Et ma tristesse ne s’atténue pas, elle s’intensifie, elle gagne en profondeur.
    Je veux être aussi triste qu’était puissant notre lien d’amour.
    Et plus j’ai la capacité d’être triste, plus j’ai celle d’être joyeuse et d’aimer les vivants.
    Les deux faces de la même médaille.

    Répondre
    • Namir
      Namir dit :

      Toi, tu arrives à vivre la tristesse de la perte. Dans mon cas, je la vis pas vraiment, et c’est ce que j’essaye de raconter. Je tourne a coté, ou autour. Je l’évite.
      Le deuil, et c’est le sujet de mon prochain film, c’est plutot une transmutation, qu’une coupure de lien. Comment tu accueilles la perte, et comment tu vis avec.
      Je ne sais pas si ca doit tout le temps etre triste. C’est la question que je me pose.
      Dans mon cas, le deuil, c’est comment accepter qu’on n’a pas le controle sur la vie et le monde, qu’on peut pas garder les gens qu’on aime. Et ca vient taper dans le sentiment d’impuissance, je crois. Pour le dire autrement, faire le deuil, c’est devenir orphelin. Et peut etre apres, devenir adulte.

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      • Valérie
        Valérie dit :

        Je comprends, je crois.
        Je crois aussi qu’il n’y a pas de « ça doit » être triste ou autre chose. C’est comme c’est, pour chacun différent, et sans doute pas comparable quand on perd ses parents ou un enfant.
        Mes parents sont tous les deux vivants, et bien sûr je pense souvent à leur mort qui possiblement arrivera avant la mienne. Je me dis que c’est naturel de perdre ses parents, mais pour autant ça n’empêche pas que ce soit douloureux.
        Ça vient aussi taper pour moi le sentiment d’impuissance, et grâce à lui, le relâchement du désir de contrôle, puisque démonstration est faite que le contrôle, on ne l’a pas. Il n’est qu’illusion.
        Et si intellectuellement c’est une chose entendue, c’est bien sûr autre chose que de le vivre. Le deuil, c’est la chance qui nous est donnée d’admettre le plus grand que nous, et de vivre plus libre.

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