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Il y a des années, j’ai commencé à écrire un nouveau film.

Depuis la disparition de ma mère en fait.

J’avais initié ce film à un moment ou la souffrance était telle que je voulais me raccrocher à la seule chose que je pensais encore pouvoir maitriser : le cinéma.

Je voulais que mon film m’aide à traverser le deuil.

Ou plus exactement, qu’il m’empêche de le faire

L’art cinématographique a ce pouvoir incroyable de restituer la vie. Et il peut donner l’illusion que nous, cinéastes, pouvons immortaliser les gens qu’on filme.

Et moi, c’est comme si, à travers ce film, je cherchais à empêcher ma mère de mourir.

Avec ma scénariste, nous avons écrit plusieurs versions de ce projet. Jouant entre documentaire, autofiction, et comédie, notre scénario évoluait à chaque fois en qualité, mais sans réussir à convaincre pleinement tous les investisseurs dont on avait besoin pour financer le tournage.

Après un énième refus d’une commission de financement, au moment d’aborder la douzième version du scénario, nous avons traversé une grosse crise avec ma scénariste. Nous avons alors décidé de faire une pause estivale, pour mieux reprendre le travail à la rentrée.

Sauf qu’aujourd’hui, je ne sais plus très bien ce que raconte ce film.

Le processus d’écriture du film a été tellement thérapeutique, qu’il m’a aidé à évoluer, et faire le deuil de ma mère. J’ai intégré, et accepté qu’elle était morte. Et, les raisons qui m’avaient poussé a faire ce film au départ, n’existent plus.

Aujourd’hui, je m’interroger sur quel choix prendre.

1-  Laisser tomber le film ( un jour c’est toi qu’on laissera tomber., ha ha..)

2- Me battre pour le financer tel quel, sans véritable enthousiasme artistique, mais pour clore une étape, et passer à la suite.

3 – Repartir sur une douzième version du scenario,
et  donner un nouveau sens à l’histoire que nous avons écrite.
En racontant,
par exemple la trajectoire d’un cinéaste qui prend conscience que le film qu’il cherchait a faire, était surtout un moyen
pour lui d’éviter une réalité trop douloureuse.

Ça me fait penser à l’histoire d’Ulysse.

Il quitte sa famille, pour partir à l’aventure, il met des années avant de rentrer chez lui, et retrouver sa femme et son fils.

Entretemps il a  mené des combats incroyables, affronté des sorcières, des sirènes, des géants, et fait le plein d’adrénaline, et d’ocytocine.

Et le voila de retour à la maison.

Retour à la case départ.

A ton avis, il se passe quoi pour Ulysse, lorsqu’il clôt cette première boucle ?

Est ce que ce but qu’il avait poursuivi pendant tant d’années (retourner a la maison), lui fait toujours aussi envie ?

Et dans ce cas, il a quoi comme options ?

1 –  Repartir à nouveau, parce que le quotidien de la vie de famille, bah, c’est peut-être pas son truc. Même s’il aime sa femme et son fils, c’est quand même moins excitant que de combattre des cyclopes, de faire l’amour avec une magicienne, ou de se faire hypnotiser par des sirènes. Il a beau aimer les siens, il les préfère peut-être de loin. Cet amour peut rester comme un cap, une direction qui lui donne l’envie de voyager, et l’espoir de rentrer. Et la boucle se répètera peut-être encore.

 

2- Rester par loyauté, par fidélité. Profiter de la sécurité et du confort de l’âtre familial auprès de Pénélope qui tricote au coin du feu, au risque de ne plus nourrir son besoin d’aventure, de connexion, et de tomber en dépression.

 

3 – Décider de donner un nouveau sens à sa vie. Peut-être en partageant avec Pénélope des expériences nouvelles. En mettant de la variété et de la nouveauté dans leur relation. En voyageant avec elle.
Oui. Mais peut être que Pénélope entretemps, s’est habituée à l’absence d’Ulysse. Et Ulysse, a un peu vieilli, il a pris du ventre, ses tempes sont devenues grises, et désormais, il ronfle.

Peut-être qu’ils vont se rendre compte l’un et l’autre, qu’ils ont évolué, et que leurs chemins les amènent dans des directions différentes, et que le meilleur choix pour eux aujourd’hui, c’est de se séparer.

 

 

La vie nous amène souvent à repasser par les mêmes endroits.

Les saisons s’enchainent, la pluie succède au beau temps, le jour à la nuit.

On connaitra tous plein de lundis. Et certains se ressembleront.

Parfois, on a l’impression de tourner en rond, et de se baigner deux fois dans le même fleuve. Que malgré tout le travail, les effort accomplis, et les voyages effectués, on fait du surplace.

Comme certains clients qui viennent en thérapie travailler sur un problème. Et qu’ on retrouve 10 ans après, aller voir un autre thérapeute pour travailler sur… le même problème.

Quand ils réalisent qu’ils tournent en boucle dessus, cela peut générer de la frustration, et du désespoir.

Oui, mais est-ce que cela ne fait pas justement partie du processus d’évolution ?

Repasser par la même boucle, ne signifie pas que l’on avance pas. Au contraire, c’est la confirmation qu’on est en train d’évoluer, et que la vie nous fait un cadeau, en cherchant à nous enseigner quelque chose.

On aura juste besoin de plusieurs autres boucles pour savoir ce que c’est.

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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12 réponses
  1. Isabelle
    Isabelle dit :

    Merci Namir pour ce texte qui me touche beaucoup.
    J’aime à penser que ces boucles sont comme des spirales que j’espère ascendantes, sur le long terme – si je pose comme hypothèse qu’une meilleure connaissance de soi est représentée par une flèche pointée vers le haut, bien sur. 😉
    Nous ne repassons jamais exactement au même endroit. Un peu plus loin, un peu plus haut – un peu plus bas parfois -, légèrement décalée, délicatement déplacée.
    Ainsi nous avançons, et peut-être que dans la spirale, la tête nous tourne moins vite ….

    Répondre
  2. Nouria
    Nouria dit :

    J’ai vécu ces moments de découragement en thérapie avec cette sensation de tourner en rond et de me retrouver toujours au même endroit,comme une boucle sans fin…
    Ma thérapeute du moment m’avait dit : Ce n’est pas un cercle,c’est un oignon
    Et à chaque fois que tu as l’impression d’être revenue au même endroit,dit toi que en fait tu es sur la même problématique mais tu as enlevé une couche.Et petit à petit ,tu vas ôter toutes les couches.
    J’avais trouvé ça joli.Et encourageant.

    Aujourd’hui, j’en ai une autre image .
    Je vois plutôt ça comme une spirale.
    On part de la partie la plus large de la spirale et à chaque nouveau tour,on se défait de quelque-chose, et on descend comme ça,de plus en plus profond à l’intérieur de soi ,en se délestant de plus en plus, jusqu’à arrivé au cœur, au noyau comme dans l’œil du cyclone et là,alors le sens de rotation s’inverse et on peut remonter en s’ouvrant vers l’extérieur, en offrant qui l’on est au monde et en pouvant accueillir du monde ce qu’il a à nous offrir avec beaucoup plus de justesse. Et probablement que la spirale doit pouvoir s’élargir à l’infini…

    Parmi les trois choix d’Ulysse que tu proposes,dans le premier ,Ulysse veut rester en haut de la spirale,il refuse de descendre et de lâcher des choses. Il ne veut faire aucun choix et ne permet pas vraiment à Pénélope d’en faire non plus.
    Du coup,forcément il tourne en rond, en revient toujours au même point et ne sera jamais satisfait. Faire un choix,renoncer,c’est le passage initiatique qui permettrait de passer du cercle continu à la spirale évolutive

    Dans le deuxième choix, il se résigne à être malheureux.En décidant de rester par loyauté, non seulement il s’expose à la depression, mais en plus au bout d’un moment , il n’aura plus rien d’autre que de l’amertume et de la rancœur à offrir à Pénélope et à son fils, et il les condamne à être aussi malheureux que lui.
    Il est entré dans la spirale mais il n’a pas pris le courant descendant pour aller vers les profondeurs.

    Dans son troisième choix, il est dans.le voyage vers le cœur. Il est prêt lâcher des choses en chemin, à réajuster là où c’est possible , à remettre des choses en question et à accepter d’être obligé de passer par un vrai délestage, un vrai renoncement pour pouvoir mieux s’ouvrir et s’offrir par la suite.
    Et par la même occasion, il rend son pouvoir à Pénélope et lui permet d’en faire autant et il montre le chemin à son fils.
    Même si c’est flippant et difficile, parce qu’effectivement, il ne sait pas où ça va mener, c’est là qu’il leur fait le plus beau cadeau à tous les trois.

    Ce n’est qu’une vision très personnelle, en cet instant. Je n’en fais bien sûr pas du tout une vérité.
    Merci pour cet article qui m’aura amenée à une introspection que je n’avais pas prévue aujourd’hui !

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  3. isabelle
    isabelle dit :

    oh Namir
    Quelle jolie pépite, ce texte a croisé mon fantôme, il est juste là au bon endroit, au bon moment. Très cool de t entendre chanter, j espère que je retrouverai ce joli moment dans d autres lectures. A demain 😉

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  1. […] Bon, je dois bien l’avouer, j’aime être cet homme que je deviens. Et j’apprécie ce privilège que j’ai, d’être père. Non pas un père qui sait, mais un père qui apprend. Découvrir mes enfants, les voir grandir, me bousculer, échanger avec eux, et évoluer. J’ai mes failles, je ne sais pas toujours poser mes limites, et ça me rend parfois trop rigide, mais, j’aime ce que nous vivons ensemble. Et plus encore depuis ma séparation. Parfois, tu dois attendre d’être tombé au fond du trou pour commencer à devenir l’homme, ou la femme que tu aurais aimé être. Et moi, voir mes enfants grandir sans moi me donne de joie. J’aime les quitter chaque semaine.  Leur manque me plaît. C’est ce qui donne tant de goût à nos retrouvailles. J’en viens à me dire que les couples devraient apprendre à se manquer davantage. Faire chambre à part, avoir leurs secrets, et cesser de croire qu’ils sont chacun la propriété de l’autre. Enfin j’imagine que c’est comme ça que j’ai envie de réapprendre à aimer, moi qui ai plutôt tendance à rechercher le confort, l’habitude et la sécurité. La sécurité tue aussi parfois. Elle tue le désir, et le désir de vie. Il y aurait un équilibre subtil à trouver avec la sécurité, qui consisterait à apprendre à laisser de la place à l’inconfort, l’insécurité, le risque, à l’inattendu. Et la peur aussi. Être confortable avec l’inconfort. C’est peut-être cela aimer: apprendre à faire confiance à l’autre, y compris quand ils s’éloigne de nous, qu’il va se promener sur des chemins escarpés ou nous ne souhaitons pas qu’il aille, et lui laisser sa pleine responsabilité. Avec tous les risques qu’implique. Mais a-t-on vraiment le choix ? Me reviens (ou revient ? j’ai un doute sur l’orthographe)  à l’esprit l’odyssée d’Ulysse, dans une autre version du mythe, dans laquelle Homère nous dirait comment Pénélope a occupé sont temps, et profité de l’absence d’Ulysse. Dans cette version, Pénélope aime la solitude. Elle aime avoir du temps pour elle, pour des activités secrètes et solitaires, dont l’odyssée officielle ne dit pas un mot. Pénélope aime ça. Elle en a besoin. Alors, elle envoie Ulysse en mer. Lui, n’a qu’une seule envie : rester auprès d’elle et de leur nouveau-né, Télémaque. Pénélope lui dit qu’elle a besoin de l’absence d’Ulysse pour être excitée par son retour. Alors il part malgré lui, bon gré mal gré. Durant son voyage, il souffre et n’a qu’une seule envie : rentrer. Mais il fait traîner son retour, par amour pour Pénélope. Elle est sa déesse, sa mère son épouse, sa fille. Elle est la douceur et la volupté, la tendresse et l’animalité insatiable. Elle est libre. Elle est la forteresse imprenable, et l’agneau  tremblant. Il en parle partout autour de lui, raconte cette histoire à tous ses matelots, et pour elle il se perd. Voilà. Et puis, vient le moment du retour.  Ils se reconnaissent, pleurent ensemble, font l’amour comme ils le faisaient autrefois, et constatent l’un et l’autre que quelque chose a changé dans leur relation. il faut bien l’admettre des fois, le temps passe et les gens évoluent. Les retrouvailles ont été intenses, mais Pénélope a un aveu à faire. Elle aimerait qu’Ulysse reste enfin. Et qu’il ne reparte plus. Elle le rejoint dans son besoin de sécurité. Ce qu’elle appelait autrefois liberté, était peut-être simplement de la peur. Elle voulait s’assurer qu’il l’aimerait toujours. Qu’il serait toujours là pour elle. Elle dit tout cela en observant Ulysse. Ulysse devrait être heureux. Mais il ressent une petite pique dans son cœur. Un truc qu’il n’ose peut-être pas s’avouer à lui-même, et encore moins à Pénélope. Il y a pris goût, à cette odyssée. En fait, c’est pas qu’l y a pris gout, c’est qu’il a toujours aimé cela. Il hésite, tourne en rond pendant plusieurs jours, devant affronter la décision la plus difficile de sa vie : devra-t-il se confier à Pénélope ? Il ignore que Pénélope est déjà au courant. Depuis bien longtemps. Et qu’elle attend depuis tout ce temps, qu’il s’ouvre, pendant qu’elle secrètement, elle souffre.  Et dans cette attente, leur couple rentre doucement dans une nouvelle phase. Une nouvelle histoire qui commence peut-être. Ou se termine. Et comme une boucle qui se clôt, ou qui tourne sur elle-même, je réalise au moment ou je termine les lignes de cet article, que j’ai déjà raconté une autre version de cette histoire, dans cet article qui s’appelle, on ne pouvait pas l’inventer : la boucle […]

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