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BIEN GÉRER LES RETOURS SUR TON SCÉNARIO

Déposer son scénario dans une commission de lecture est gratuit en apparence.
Mais présente un risque qui peut coûter très cher. Voici mes trois clés pour survivre à cette épreuve.

Étant à la fois auteur de films, et lecteur de scénarios, j’ai soutenu des projets lors de nombreux comités de lecture, en ai refusés d’autres, tout en subissant le même sort avec mes propres scénarios.

C’est donc à l’aune de ces deux casquettes, que je te partage ici  3 leçons que j’ai apprises pour déposer un projet dans les meilleures conditions. 

Le Centre National de la cinématographie est un eldorado où les auteurs, débutants ou confirmés, peuvent envoyer gratuitement leurs scénarios, avec l’espoir d’obtenir un soutien financier, ou des aides diverses pour réaliser leurs rêves cinématographiques. 

A première vue, cela a tout l’air d’un système vertueux,  ouvert à tout le monde, et sans risques. Et surtout, un système qui ne coûte rien à l’auteur. Sauf qu’en réalité, le dépôt n’est absolument pas gratuit.

Il présente même un risque qui peut coûter très cher : 

Que ton projet ne soit pas retenu.  

Peut-être penses-tu que c’est un risque minime, car en apparence, tu n’as rien dépensé. Or, il n’y’ a rien de plus faux. 

Généralement,  avant l’annonce des résultats, tu vas commencer  à stresser. Et quand le jour de la commission arrivera, tu vas te retrouver à guetter, inquiet, la sonnerie de ton téléphone toutes les dix minutes. Et même lorsque l’appel libérateur ne viendra pas, et que la désillusion deviendra certitude, une part de toi continuera à espérer encore un happy end. Jusqu’au moment ou la réponse tombera, sèche, impitoyable, mais enrobée des formules d’usage. 

Tu écouteras attentivement le compte rendu  des  retours de la commission. Et ce sera l’abattement. Voire la colère. 

Pourquoi mon projet n’a pas été retenu ? C’est pas juste !

Tu diras que ton projet n’a pas été compris, ou apprécié à sa juste valeur. Qu’il a été lu de travers. Ou que le jury t’était défavorable. Ton ego va s’agiter,  le temps de digérer le choc et de  te remettre au travail. 

Mais la véritable épreuve commence maintenant. Car le dragon des auto-saboteurs va débarquer, avec toute son armée. Tu vas alors ressentir la perte de motivation et de sens. Avec cette petite voix à l’intérieur de toi,  qui commence par te faire douter de ton projet. Avant de te faire douter de toi. Et pour peu que tu enchaînes un deuxième, ou un troisième refus,  tu risques  de rentrer dans une phase compliquée de perte d’estime de toi, et de foi dans ton travail. 

C’est là que se situe, à mon sens  le coût réel de ton dépôt en commission.  

A mes débuts, je mettais des semaines à me remettre d’un refus. Aujourd’hui, j’ai appris à anticiper cette épreuve en apparence impitoyable, mais qui peut devenir aussi très gratifiante. 

Je te partage ici trois questions que je me pose systématiquement avant de soumettre mes projets, et qui j’espère t’aideront. 

1 –  EST-CE LE BON MOMENT POUR DÉPOSER ?  

Stratégiquement, tu peux déposer ton scénario, après une première version,  parce que tu souhaites avoir des retours.

Ça se défend, même si je pense que ce n’est pas le choix le plus judicieux.

Car c’est accorder beaucoup d’importance au regard de lecteurs anonymes, sans garantie que leurs retours te soient utiles ou aidants. De plus, tu as un nombre de dépôts limités, et tu grilles alors l’une de tes principales cartouches. 

Avoir des retours sur ton travail est fondamental. Mais comme dit Neil Gaiman, quand les gens te font des critiques en te disant que ça cloche, ou que ca ne fonctionne pas pour eux, ils ont presque toujours raison. Et quand ils te disent précisément ce qui cloche, et comment y remédier, ils ont presque toujours tort.

Avant de déposer, prends vraiment le temps de faire lire ton scénario par des gens qui ne connaissent rien de ton projet, mais en qui tu as confiance.

Écoute leur éventuelles critiques négatives et défauts perçus autour ton projet. Tu pourras alors te positionner. Parfois un défaut revendiqué deviendra ta force. Et très souvent, de nouvelles idées émergeront qui t’amèneront à améliorer ton projet.

Retravaille ensuite jusqu’à sentir que tu es allé au bout d’une étape.

Et quand tu sens que tu as tout donné, dépose. 

2 – TON DOSSIER DONNE-T-IL ENVIE ?

Un dossier solide, ce n’est pas qu’une bonne histoire. Ton dossier doit contenir l’empreinte de qui tu es. Que l’on sente que t’as un regard, même si ton message peut-être commun ou ordinaire.

Ton regard est unique, et s’exprime dans le rapport que tu entretiens à ton histoire, et le point de vue que t’as dessus.

Ton scénario contient ton « quoi », c’est à dire ton histoire et l’idée philosophique qu’elle sert.

Ton dossier doit aussi contenir ta note d’intention, c’est à dire ton « pourquoi ».

J’ai vu pas mal de projet convaincre un jury hésitant, grâce à cette note. Quand on sent que l’auteur s’y exprime avec authenticité, justesse, et intelligence, c’est un atout considérable. Ta note d’intention éclaire ton scénario :  Elle porte tes valeurs, ce qui t’anime, le sens que tu donnes à ton histoire. Elle contient la colle du temps, celle qui fait que ton projet ne vieillira pas : ta vérité personnelle.

Tu auras toute ta vie pour réussir à faire un grand film. Ce ne sera peut-être pas ton premier.

Ta note est là pour laisser entrevoir ce quelque chose qui fait qu’on aura envie de te suivre, malgré les maladresses éventuelles de ton projet. 

En plus de ta note d’intention,  ton dossier a besoin de contenir ton « comment », c’est à dire la manière dont tu vas raconter ton histoire, et faire émerger ta patte, ton style. En documentaire, on appelle cette note de mise en scène,  le dispositif : c’est à dire quels moyens tu vas mettre en œuvre, pour réaliser cette histoire.

Et parce que le cinéma est un travail d’équipe, ton dossier a besoin de donner à voir comment tu es dans l’interaction avec les autres.

Est-ce que tu écris seul, ou avec des collaborateurs ? Est ce que tu as un producteur/productrice qui t’accompagne ? As-tu déjà une équipe qui a envie de travailler avec toi ? Si c’est le cas, fais-nous entendre leurs voix. 

Ta note de production va éclairer la qualité de ta relation de travail avec ton producteur, si déterminante dans la réussite de ton projet. L’apport du producteur/productrice, est aussi de percevoir ce que tu ne perçois pas encore toi-même. Un regard plus large sur ton projet, et sur toi, la place qu’il peut trouver sur le marché, et comment il peut répondre à un besoin ou une attente. Les films, à la différence des livres, ont un cout de fabrication élevé qui impliquent des investissements. Tu ne peux pas juste dire à quelqu’un :

« Donne moi de l’argent, je te promets que mon film va être bien ».

Tu dois donner envie. Et si déjà tu as réussi à convaincre des partenaires, c’est facilitant. La présence d’un producteur à tes côtés apporte aussi une sécurité essentielle : la confiance dans le fait que, malgré tes moments de doutes, et les secousses inhérentes à tout processus créatif, quelqu’un sera là, pour t’épauler, te soutenir, et parfois aussi te permettre de ne pas perdre le cap. C’est la cohérence de tous ces  éléments, qui te permettra d’avoir un dossier présentable, et te donner les meilleures chances de toucher des lecteurs. 

3 – TU FAIS QUOI SI TON PROJET N’EST PAS RETENU ?   

Tu ne seras jamais à l’abri d’un refus. C’est la vie.

Est-ce que tu t’es préparé à cela ? 

Clé N°1 Ne prends pas les critiques personnellement.
J’ai vu parfois  certains auteurs réagir violemment aux retours des commissions, en accusant « le système », comme si tout le monde était ligué contre eux. Souvent, c’est qu’ils se sentent attaqués personnellement, et ont du mal à dissocier leur travail, d’eux-mêmes. Il me parait fondamental de comprendre que lorsqu’une commission dit non à ce que tu fais, leurs critiques ne devrait  jamais impacter qui tu es en tant que personne.

Si tu as ressenti le besoin d’écrire cette histoire, ton besoin est légitime.

Personne n’a à remettre cela en question. Ce qui est remis en question, c’est la manière dont cette histoire-là, racontée ainsi peut atteindre un public. Les lecteurs ne sont pas contre toi. Ils ne se lèvent pas le matin en se disant : 

« Chouette, je vais démolir le scénario de  Untel ».

La plupart du temps, ils ne te connaissent même pas. Et ils n’ont qu’une seule envie : aimer ton projet, et le trouver génial. Donc lorsque ton projet n’est pas retenu, les premiers déçus, ce sont eux.

Clé N°2 Sois curieux des retours
Obtenir des retours qui te feront avancer n’est pas évident. Malgré tous les efforts que je fais pour essayer d’être un lecteur aidant et constructif,  je sais que certains de mes retours peuvent faire mal, parce qu’ils sont maladroits, trop directs, ou simplement à coté. Les retours ne sont pas  une science exacte. Et il y a aussi une part d’aléatoire. Un même projet peut-être refusé dans une commission et accepté dans une autre. Et parfois, un projet qui a été écrit en tenant compte des retours des lecteurs perd de sa force. Il n’existe pas de formation à  la lecture de scénario, ni à la pédagogie critique.
Et puis les lecteurs n’ont pas tous les mêmes critères d’évaluation. Certains seront plus sensibles à la mécanique d’un récit, d’autres à la richesse des personnages, d’autres à la vision de l’auteur, et d’autres au potentiel du film. Les lecteurs traduisent subjectivement ce qu’ils ressentent, avec plus ou moins de finesse, et de réussite. Cela ne te dit pas forcément comment tu dois retravailler. Tu devras apprendre par toi-même à traduire leur ressentis en pistes éventuelles de réécriture, en ne perdant jamais de vue ton « pourquoi ». Parfois tu ne seras pas d’accord avec certains retours. Reste tout de même curieux de ce qui leur fait dire cela, sans le prendre personnellement, et demande toi  en quoi ces retours peuvent  t’aider à avancer.
Et si tous les lecteurs sont unanimes, cela est probablement un bon indicateur de ce sur quoi tu as à travailler.

Clé N°3 -Développe un état d’esprit tout terrain
C’est ce qui m’a le plus aidé à sortir de la déprime, et à remettre l’effort au coeur de mon travail, et que je transmets aujourd’hui  tous mes clients et stagiaires.
Tu peux lire Carol Dweck et son livre « Mindset ».  En tant que créateurs, nous recevons tout au long de notre carrière des retours favorables ou défavorables. Statistiquement, nous sommes plus souvent confronté aux échecs qu’aux réussites. Ce n’est pas forcément un problème en soi, si on regarde ces refus comme des moyens d’évoluer. Cela implique de se questionner, de développer une réelle connaissance de soi, et de ne pas tomber dans les pièges de la jalousie, de la compétition et de la comparaison, pour maintenir toute notre énergie au service de notre élan créatif. Et lorsque nous rencontrons des obstacles, demandons-nous comment ils peuvent nous aider à clarifier encore plus ce que nous cherchons à exprimer. Ryan Holiday l’exprime bien dans « l’obstacle est le chemin ». 

En discutant  avec Jean Claude Carrière, scénariste de Bunuel, Forman, Wajda et de tant d’autres, j’ai été surpris d’apprendre, que malgré sa notoriété, un scenario sur trois qu’il écrivait, ne donnait pas de film. Il n’avait pas d’explication à cela, car cela n’était pas lié, selon lui, à la qualité des scénarios. Savoir abandonner, renoncer, accepter fait aussi partie de notre métier. Un producteur expérimenté un jour m’a dit : « mon rôle, c’est de dire non aux auteurs assez tôt, pour qu’ils ne perdent pas des années à travailler sur un projet dont je sais par expérience, qu’ils ne se fera pas. « Et de son point de vue, il avait raison. Aucune oeuvre n’est indispensable pour le public. Mais parfois, elle l’est pour toi. Dans ce cas, appuie toi sur ce qui la rend vitale à tes yeux, et va puiser au fond de ton être, ta force primaire : que ce soit ta rage, ta colère, ton amour, ta foi, ton enthousiasme, ou ton besoin absolu de t’exprimer. Mon premier long-métrage a été refusé par une dizaine de commissions, rejeté par tous les distributeurs et toutes les chaînes de télé, et j’ai bien cru qu’il ne se ferait jamais. Mais je savais que je ne ferai aucun autre film si je ne faisais pas celui-là. J’y mettais en scène ma relation à ma mère, et à ma famille en Egypte, et  ma relation à mon pays d’origine. Curieusement, tous les obstacles que j’ai traversés, m’ont forcés à trouver des idées qui ont rendu le projet initial encore plus intéressant.

Et cela a donné une liberté de ton unique à mon film qui s’est ensuite retrouvé dans des grands festivals comme Berlin, New-York et Cannes. Et quand ma mère est décédée peu après le film, je me suis dit que j’avais eu bien raison de persévérer, contre vents et marées. Alors si ton projet  n’intéresse aucune commission, que tu n’as pas les moyens de le réaliser à moindre coût, et que tu ne te sens pas l’énergie du guerrier suicidaire qui est prêt à passer cinq ans dessus, mets-le de côté, et écris un projet moins cher qui pourra se produire plus facilement. Utilise ta créativité pour faire passer tes messages et tes idées autrement. Tu gagneras en expertise. Peut-être qu’il te sera plus facile après quelques années d’expériences, ou grâce à la notoriété que tu auras acquise, de revenir sur ce premier projet. Et si ce n’est pas le cas, c’est que tu es passé à autre chose, et c’est très bien aussi. Un refus d’une commission n’est jamais un échec en soi. Tu pourras même le transformer en véritable tremplin sur le chemin de ta réussite, si tu apprends à le regarder avec un état d’esprit confiant, curieux, et en tirer des apprentissages qui t’aideront à tracer ton chemin de créateur.

Namir
www.active-change.com – Ta reconquête créative

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