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Beaucoup de gens se lancent dans l’écriture de récits personnels, persuadés de l’intérêt de leur histoire, et se retrouvent après des mois de travail, confrontés à ce constat terrible : ça n’intéresse personne.
Est-ce qu’au fond, ce désir de se raconter était juste un moyen douloureux de dire adieu à ses ambitions artistiques ?
Réussir à transformer son histoire personnelle en récit est un exercice artistique très difficile, et demande de se poser les bonnes questions.
La frontière entre l’expression personnelle qui crée de l’intimité avec ton lecteur et le rapproche de toi, et celle qui le met mal à l’aise et l’exclut, est souvent très fine.
Être toi-même le sujet de tes écrits nécessite une juste distance avec ton « personnage », avoir un point de vue clair sur l’histoire que tu racontes, la capacité à te mettre dans la peau des autres personnages, et probablement aussi percevoir, au-delà de ton histoire personnelle, l’enjeu véritable du récit.
J’ai réalisé plusieurs films personnels, entre documentaire et auto-fiction, passé un an à écrire un blog dans lequel j’ai partagé des centaines de récits intimes, et je continue à m’arracher les cheveux (enfin ceux qui me restent) sur mon dernier film à propos du deuil de ma mère.
Parfois l’adhésion est au rendez-vous.
Parfois pas.
Alors, comment faire pour que tes écrits personnels touchent ton public ?
D’abord, pourquoi le public aurait envie de te lire, alors qu’il ne te connait pas encore ?
En quoi ta vie, ou ton expérience personnelle l’intéressent-elles, au point qu’il soit prêt à te consacrer plusieurs heures de son temps déjà précieux, et en plus à payer pour cela ?
Tu demandes à ton public de se rendre disponible pour toi. Alors, j’aimerais te poser une question :
Quand tu écris, quand tu publies tes textes, est-ce que tu aimes ton public ?
Bien, sur, t’es libre de le voir comme un poisson qui mord à l’hameçon de ton génie, un adversaire que tu veux mettre K.O., un enfant rêveur qui se laisse bercer par tes douces promesses, ou un être en évolution suspendu à tes révélations d’expert.
Tu peux aussi parfaitement t’en foutre, et écrire ce que t’as sur le cœur, sans te soucier de ton public, ou t’adresser à lui comme à ton meilleur ami.
Il n’y a pas de recette au succès.
Mais il y a peu de chances que ce que tu racontes ne l’intéresse, si tu ne le mets pas au centre de ton histoire.
A travers ton histoire, c’est de lui que tu parles.
Voila pourquoi, quelle que soit la relation que tu as envie d’établir avec ton public, il te faut déjà le connaitre, et t’intéresser à lui.
Pas pour lui montrer à quel point t’es génial, ou pour l’impressionner, mais pour l’aider à se rendre compte comment lui aussi, il est génial, même quand il ne le sait pas encore.
Alors, bien sur, t’as plein de manières de le faire. Tu peux jouer avec ses attentes, manier les outils du storytelling, l’accrocher, le manipuler, lui retourner le cerveau, le taquiner, ou l’apitoyer.
Mais si tu veux nouer une relation profonde, intime et belle avec ton public, le plus simple, c’est de l’aimer vraiment.
Intéresse-toi sincèrement à lui. Pose-lui des questions. Ecoute ses réponses.
Cherche le point de liaison entre lui et toi.
Écoute aussi ses silences quand parfois tu lui écris, et qu’il ne te lit pas.
Et mets-toi à sa place.
Si c’est difficile pour toi, repense aux auteurs qui t’ont le plus touché. Et demande-toi comment tu t’es senti avec eux, qu’est ce qui t’a plu dans la relation que vous avez entretenue ensemble ? Comment t’es tu senti aimé ?
Etaient-ils des experts, des passionnés, des observateurs, des architectes ? Comment t’es tu senti les lisant ?
Regarde aussi les livres que tu n’as pas lu en entier, qui te sont tombés des mains malgré leur intérêt, et demande-toi aussi ce qui t’a manqué.
Tu trouveras ainsi comment tu as envie de te sentir aimé, et dans quel type de relation tu aimes t’épanouir.
Cela pourra t’aider à savoir comment tu as envie à ton tour d’être en relation avec ton public.
Plusieurs fois, j’ai eu la chance de croiser sur ma route des inconnus, qui sont venus enthousiastes, m’exprimer à quel point mon premier film, dans lequel je me livrais avec ironie et sincérité, les avait inspiré, et donné le courage de réaliser leurs propres projets.
C’est très bizarre de croiser des inconnus qui te disent que tes histoires ont changé leur vie.
J’ai lu quelque part une définition de l’amour qui disait aimer quelqu’un, c’est prendre plaisir à son évolution.
C’est étrange de ressentir cet amour pour des inconnus que tu ne croiseras peut-être jamais.
Comme j’ai eu l’impression de le recevoir aussi, lorsque, inspiré par les premiers films de Buñuel et leur liberté de ton, j’avais trouvé le déclic pour me lancer dans le cinéma.
Et l’un des énormes avantages à prendre le risque de publier des récits personnels, c’est qu’à défaut d’accompagner l’évolution de ton public, tu pourras déjà contribuer à la tienne, et avancer sur ton chemin d’écriture en acceptant que l’amour que tu as pour ton public implique aussi parfois que tu ne le rencontres pas toujours.
Si cet article t’a plu, pense à t’abonner à mon blog.
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